Isabelle Gueguen est sociologue et consultante experte en égalité femmes/hommes. Avec sa collaboratrice Françoise Le Rest, elles ont monté il y a 15 ans le cabinet de conseil Perfegal. Ce dernier ausculte les pratiques des entreprises et des acteurs publics en matière d’emploi et de recrutement et propose des politiques plus égalitaires entre les femmes et les hommes. Au moment où le débat sur la réforme des retraites mobilise une partie du pays, Isabelle Gueguen, membre des Fameuses, nous livre son point de vue sur les retraites, une étape, selon elle, insuffisamment anticipée, dans la vie des femmes.
Votre cabinet Perfegal est spécialisé dans la lutte contre les discriminations notamment dans les pratiques RH. Comment abordez-vous le sujet des retraites dans vos différentes missions ?
La retraite est le bout de la chaîne de notre vie professionnelle. Elle est la conséquence directe d’une succession de situations sur lesquelles nous travaillons précisément. Pour cela, les données sexuées des entreprises ou des collectivités sont un outil indispensable. Ces données nous permettent d’analyser, à froid, les réalités professionnelles des femmes : les évolutions salariales, les temps de travail, les contrats proposés, les opportunités de formation et d’évolution pendant une carrière… Cela permet de comprendre où se nichent les inégalités qui s’expriment ensuite très fortement au moment de la retraite. Les femmes perçoivent une retraite moyenne d’un montant de 42 % inférieur à celle des hommes. C’est énorme !
Nous comparons en priorité la situation des femmes avec et sans temps partiel. Car c’est l’une des causes majeures des inégalités actuelles. Les femmes ralentissent plus spontanément leurs carrières pour s’occuper de leurs enfants. Dans plusieurs cas d’étude, nous avons démontré que ce choix du temps partiel nuit à leurs évolutions professionnelles. Encore trop de femmes découvrent tardivement ces effets sur leurs retraites.
Justement, comment les femmes devraient-elles anticiper leurs retraites ?
Je pense qu’il faudrait que les femmes soient plus stratégiques dans leurs carrières professionnelles, d’une certaine manière, plus individualistes. Il faut par exemple qu’elles s’emparent de cette réalité parfois difficile à entendre : en 2015 pour 100 mariages, on compte 45 divorces. En moyenne, une femme sur deux ne sera plus avec son conjoint dans 30 ans. Comment subviendra-t-elle alors, seule, à ses besoins ?
Idéalement, il faudrait pouvoir s’assurer d’avoir un toit sur la tête au moment de la retraite. Car la pauvreté chez les personnes âgées s’exprime particulièrement lorsqu’elles ont des retraites limitées et des loyers à payer, ce qui réduit d’autant plus leur pouvoir d’achat.
Que pensez-vous des débats actuels en lien avec la nouvelle loi sur les retraites ?
On insiste sur l’information et le débat plus que sur les postures politiques. Avec la réforme actuelle, il y a des perspectives intéressantes, mais aussi des problèmes à résoudre. Augmenter le minimum vieillesse à 1000 euros par mois (indexé sur les salaires), c’est nécessaire et globalement une bonne nouvelle pour les femmes qui représentent 56% des bénéficiaires chez les moins de 65 ans et près de 89 % chez les plus de 90 ans. Ces statistiques proviennent d’un rapport du Laboratoire de l’égalité sur les retraites que je recommande. Ce qui reste problématique à mon avis, c’est l’idée de prendre en compte l’ensemble de la carrière, plutôt qu’actuellement : les 25 meilleures années, ou les 6 derniers mois pour les fonctionnaires. Car les femmes ont un démarrage de carrière plus souvent chaotique (CDD, temps partiels, bas salaires…). Prendre en compte la carrière globale, cela risque de niveler leurs pensions vers le bas.
Quelles seraient selon vous des mesures efficaces pour résorber ces inégalités dans les retraites ?
Il y a quelques années, le planning familial avait proposé que les trimestres non cotisés ou perdus, en raison de choix liés à la vie de famille, soient partagés par la mère et le père (ou le second parent). Je trouve en effet que les deux parents devraient être concernés par ce manque à gagner, et pas uniquement les femmes. Souvent, ce sont elles qui font le choix d’un temps partiel sans qu’il n’y ait réellement débat dans la famille. Si les hommes sont impactés, ils vont se projeter davantage, et en parler. C’est tout l’enjeu, car de mon point de vue, c’est à l’intérieur des couples plutôt que sur des plateaux télé que doit avoir lieu le débat sur les retraites qui fera la différence.
Vous plaidez aussi pour une meilleure représentativité des femmes à la table des négociations, ce qui permettrait de mieux prendre en compte par exemple la question de la pénibilité du travail ?
En effet, c’est indispensable que les femmes soient mieux représentées dans les négociations actuelles pour espérer un réel progrès. Déjà, on défend d’autant mieux ce que l’on connaît. Ensuite, quand on pense à la pénibilité du travail, on imagine immédiatement les métiers du bâtiment, les ateliers chimiques… Malheureusement, on sous-estime encore trop de métiers à dominance féminine. Par exemple, le personnel des crèches qui travaille dans le bruit, dans les cris, et porte des enfants à longueur de journée… La société considère que s’occuper des autres n’est pas difficile. On peut penser aux remarques de certains parents lorsqu’ils déposent leurs enfants : “Amusez-vous bien !” comme si la garde des enfants n’était pas un travail. Il est temps que les syndicats étudient sérieusement la pénibilité des professions à dominance féminine.
Pour aller plus loin:
Perfegal, cabinet de conseil au service de l’égalité femmes/hommes dans les entreprises et les territoires
Le rapport du laboratoire de l’égalité sur les retraites :
https://www.laboratoiredelegalite.org/2019/11/29/la-reforme-des-retraites-doit-etre-un-outils-degalite-femmes-hommes/