Lucie Noirault, fondatrice de Merci Boulette, 40 ans, Angers

La cuisine pour moi c’est… « Un truc chaleureux, qui se partage. C’est un héritage familial aussi : mon grand-père maternel a été boulanger, pâtissier, boucher, marchand de bestiaux… L’été je me souviens du temps qu’il passait à faire des tartes. J’ai aussi beaucoup cuisiné avec mes parents. »
J’ai eu le déclic quand… « J’ai d’abord fait des études d’anglais pour être traductrice, puis j’ai gagné ma vie en faisant des interviews dans le spectacle vivant, et j’ai finalement obtenu un CAP petite enfance, secteur dans lequel j’ai travaillé une dizaine d’années. Sauf que les conditions d’exercice se sont tellement dégradées que c’en est devenu insupportable. Je ne voulais pas abîmer le monde. Comme depuis un moment j’avais en tête de faire de la cuisine mon métier, sans trop savoir ni par où commencer, ni si c’était vraiment réaliste de vouloir transformer un hobby en profession, j’ai échangé avec une amie restauratrice qui cherchait un nouveau souffle. Ensemble nous avons dressé le constat qu’à Angers, il y avait des besoins en catering (ndlr : restauration pour les organisateur·rices d’événements). J’ai appris le métier à ses côtés pendant 6 mois, pour le Chabada (ndlr : scène de musiques actuelles angevine) et puis chacune a poursuivi son chemin de son côté. Depuis un an, je continue à assurer seule le catering pour les concerts et résidences de la salle, et je travaille aussi à d’autres endroits, plus ponctuellement. »
Ce que j’adore… « C’est l’espèce de versatilité de la cuisine. Je conçois mes menus, principalement végétariens, avec l’idée que chacun et chacune va pouvoir construire son assiette à sa guise. Ce que j’ai en tête peut devenir quelque chose de complètement différent dans l’assiette des autres. Et bien sûr, j’ai le champ libre en termes de créativité, je fais ce que je veux, j’adore. Comme je travaille des produits frais et de saison, ça change toute l’année, je ne tourne pas en rond. »
Ce qu’il faut dire aussi… « Je suis toute seule face à la fatigue, la charge de travail, les listes de courses, la comptabilité… »
Pauline Potteeuw, fondatrice de Farniente, 32 ans, Rezé

TW : violences sexuelles au 2ème paragraphe.
La cuisine pour moi c’est… « Un refuge. Depuis toujours. Ado, quand je rentrais du collège je me lançais dans mille tests de cookies et de tartes. J’ai toujours cuisiné. C’est très lié à la générosité et à la culture familiale. Solange, ma grand-mère paternelle, exerçait le métier de femme de ménage chez des gens très riches, et il se trouve qu’une de ses patronnes lui a transmis plein de recettes et de techniques de la cuisine bourgeoise, qu’elle concoctait dans son HLM de la banlieue lilloise, près de là où j’ai grandi. C’était toujours hyper raffiné, elle savait préparer des repas majestueux même avec des ingrédients très simples. C’est elle mon inspiration, encore maintenant. »
J’ai eu le déclic quand… « J’ai subi un trauma, en 2017. Après avoir fait Sciences po Grenoble, parce que j’étais bonne élève et que j’ai été fléchée dans des filières intellectuelles, j’ai commencé à travailler au ministère de l’écologie, puis j’ai passé un entretien pour un nouveau job, et la personne qui m’a reçue m’a droguée et violée. Le lendemain, c’est le fait de couper les légumes et de cuisiner qui m’a permis de me sentir exister à nouveau, vivante. J’ai ressenti que c’était par ce biais que j’allais pouvoir, petit à petit, me remettre sur pieds et trouver ma place. Il se trouve qu’à ce moment-là, le café cantine en bas de chez moi cherchait un·e chef·fe sans expérience. Ça a été un déclic pour me lancer. Puis, pendant deux ans, j’ai bossé avec un chef formidable à Lille, qui m’a appris à m’affirmer « cuistot », à avoir confiance en moi, à être maligne dans la cuisine. J’avais déjà un conditionnement de réflexe anti-gaspi au quotidien, il m’a aidée à aller plus loin, à transformer des chutes en sauce… Il m’a un peu appris la magie. Depuis un an, je suis ma propre cheffe, dans mon restaurant-caravane « Farniente », à Rezé. Ma décision cette année c’est de ne pas en prendre, même si je sais que la vie réserve des surprises, et que je rêve d’ouvrir un resto d’insertion depuis longtemps… »
Ce que j’adore… « L’infinie créativité que m’offre la cuisine. Je propose une carte par semaine, mais chaque jour j’ai de nouvelles inspirations sur le dressage par exemple. Je cherche toujours le mieux. Et puis ça me fait du bien de voir que je fais plaisir aux gens. »
Ce qu’il faut dire aussi… « Le métier de cuistot c’est une course contre la montre permanente. Même si tu es fatiguée, tes clients arrivent quand même à midi pour manger ! »
*Rendez-vous pour le 1er anniversaire de Farniente le samedi 18 mai de 12h à 18h.
Maryam*, fondatrice de Parvana, 20 ans, Nantes

La cuisine pour moi c’est… « Quelque chose de très familial, qui rassemble les gens. Je viens d’Afghanistan, j’ai grandi là-bas avant de devoir fuir pour des raisons politiques. Et dans mon pays, toutes les filles cuisinent avec toutes les générations de la famille. »
J’ai eu le déclic quand… « J’ai toujours voulu faire du commerce, mais au lycée, en France, on m’a orientée vers une filière « architecture d’intérieur ». J’ai fini par arrêter l’école pendant un an, et puis j’ai trouvé une place en apprentissage dans une filière commerce et métiers de la vente. Mon objectif a toujours été de faire des études supérieures. J’avais d’ailleurs déjà repéré un BTS commerce international à Paris, mais entre-temps, la situation en Afghanistan, en Iran et dans d’autres pays de la région s’est dégradée. Comme j’avais depuis un moment l’idée de créer une association pour aider, j’ai lancé aussi « Adalat », qui veut dire « justice » en Afghan, pour récolter des aides internationales. Ça devenait compliqué de tout mener de front, les études, l’association, et le soutien à la famille. J’ai donc arrêté mes études pour me concentrer sur le reste, et à ce moment-là je me suis dit que si j’arrivais à ouvrir un restaurant, je pourrais financer l’asso et aider ma famille, ça m’a semblé être la meilleure piste. En faisant des recherches, je suis alors tombée sur l’association Singa, qui m’a permis d’assurer l’ouverture du restaurant « Fair∙e » avec l’équipe, puis d’avoir mon propre corner chez Magma, pendant 6 mois. Depuis un an, j’ai lancé mon activité de traiteur qui fonctionne très bien, je vais assurer un corner à Carquefood, et je suis sur le point d’avoir trouvé un local pour ouvrir mon restaurant de cuisine d’Asie centrale, Parvana, à Nantes. »
Ce que j’adore… « L’idée qui sous-tend tout le projet : manger un repas chez Parvana c’est sauver un enfant. Je souhaite que mes activités ici financent notamment des ateliers de cuisine pour des femmes afghanes, et que leurs repas soient redistribués pour l’aide d’urgence aux enfants. Je veux montrer que les femmes sont capables de beaucoup si on leur laisse la liberté de s’exprimer. »
Ce qu’il faut dire aussi… « C’est difficile de tenir la charge de travail au quotidien. Parfois on est malade, ou quelqu’un∙e de notre famille a besoin de nous, mais il faut tenir. Et puis quand on a servi 100 ou 150 personnes et que tout le monde est content, c’est très bien mais c’est du boulot et derrière il faut enchainer. C’est un peu les montagnes russes ! »
*pour des raisons personnelles le nom de famille n’est pas communiqué.