Paru aux éditions Glénat début septembre, le livre « Si t’es un homme ! » réunit 27 auteur·rices et illustrateur·rices et tout autant de points de vue sur les masculinités contemporaines. Annaïg Plassard, autrice et réalisatrice, est à l’origine du projet. Le Cil Vert, auteur et dessinateur de bandes dessinées, y contribue également. Pour les fameuses, iels reviennent ensemble sur la genèse et l’ambition de cet ouvrage collectif.
Comment est né l’ouvrage Si t’es un homme (Ed.Glénat) ?
Annaïg Plassard : En 2018, j’ai participé au recueil collectif de bandes dessinées Féministes (Éditions Vide Cocagne) en tant qu’autrice. Cette année-là, je suis présente au festival Quai des Bulles à Saint-Malo et je discute avec le dessinateur Zanzim (qui participe également à l’ouvrage, ndlr). Nous échangeons sur les rapports compliqués entre les femmes et les hommes au sein du patriarcat, et je réalise qu’il manque un recueil comme « Féministes », mais centré cette fois-ci sur la masculinité. Je ressens cette petite étincelle de peur et d’excitation qui précède chacun de mes projets et je me dis « bien sûr que je vais le faire ce livre ! ». En 2021, après quelques discussions, notamment avec des libraires, je me suis lancée. J’ai réuni plusieurs noms d’auteur·ices et j’ai présenté le projet à la maison d’édition Glénat.
Le Cil Vert : l’affaire Weinstein et le mouvement #MeToo en 2017 m’ont fait prendre conscience que quelque chose d’important se passait. J’ai eu envie d’écrire sur ces sujets. J’ai d’abord travaillé sur un premier projet qui mettait en scène un homme se transformant en femme et explorant une autre facette de son genre. Ce projet me plaisait beaucoup, mais je me suis rendu compte que j’agissais comme tous les hommes depuis le début de l’humanité… Je tirais la couette vers moi ! Face à un mouvement mondial de libération de la parole des femmes, moi, en tant qu’homme, je pensais ajouter mon grain de sel, alors qu’il existait déjà de nombreux contenus géniaux sur les femmes, faits par des femmes. C’est à ce moment-là qu’Annaïg m’a contacté et m’a proposé d’écrire sur la masculinité.
Le Cil vert, qu’est-ce que vous avez envie de raconter dans votre bande dessinée ?
Le Cil Vert : J’y évoque ma collaboration avec la CIMADE, pour qui j’ai réalisé des illustrations. Quand j’envoyais mes brouillons à la chargée de projet de l’ONG, celle-ci m’interpellait sur les stéréotypes que je pouvais véhiculer. Par exemple, seuls mes personnages féminins portaient des bébés dans leur bras.
Je sais pourtant que je vis dans ce monde sexiste et j’ai conscience des failles que je peux avoir. Et pourtant, en tant qu’artiste, je reste assez bête pour reproduire des clichés sexistes ! J’ai réalisé que si j’écris ou dessine sans réfléchir à mes propres biais, je reproduis des stéréotypes autour de la masculinité et de la féminité. Cette expérience m’a donné envie de progresser.
Annaïg Plassard : C’est un des sujets au cœur de ce bouquin. On peut travailler sur ses failles, les exposer, sans être obligé d’en souffrir pour autant. On peut ouvrir les yeux sur ses privilèges, leur intersectionnalité, tout en laissant tomber la haine de soi, qui ne sert pas à grand-chose. Faire émerger sa responsabilité est une compétence que les hommes -et toutes les personnes qui ont des privilèges- doivent acquérir. Les hommes doivent développer la capacité à faire émerger leurs émotions difficiles, comme la honte ou la culpabilité, sans s’écrouler. Cela relève d’un enjeu de santé publique.
Depuis #MeToo, le sujet de la condition féminine a émergé dans le débat public et a fait l’objet de nombreux livres, films, podcasts… Les femmes et personnes sexisées ont collectivement partagé leurs expériences et leurs vécus. Cela a beaucoup moins été le cas pour la masculinité. Celle-ci reste-t-elle un impensé ?
Annaïg Plassard : Des projets artistiques autour de la masculinité ont vu le jour pas si longtemps après #MeToo. C’est d’abord venu des hommes trans et des hommes gays. Petit à petit, cela vient aussi des hommes blancs, cisgenres et hétéros. Je recommande notamment le visionnage de la série Ted Lasso, une exploration réjouissante de la masculinité, que des millions de personnes ont vue.
Mais attention, les hommes ont de tout temps parlé d’eux ! La question à se poser est plutôt celle-ci : en quoi cela consiste de parler de masculinité post #MeToo ? Quels mots peut-on mettre là-dessus ? C’est pour cette raison que je présente Si t’es un homme ! comme un livre sur les masculinités, au pluriel, sous un angle féministe.
Le Cil Vert : Je pense aussi que le sujet des masculinités est de plus en plus traité. C’est une question que beaucoup d’auteurices se posent. Mais cela va plus loin que le milieu artistique ! Toute la société s’en empare, je le vois chez mes enfants, c’est un sujet beaucoup plus présent, à l’école par exemple.
Justement, de quelle masculinité parle-t-on ?
Annaïg Plassard : Faire un livre de 250 pages était une manière de dire qu’on ne sait pas définir la masculinité !
Le Cil Vert : Et peut-être qu’il ne faut pas la définir. La case de la masculinité est compliquée pour beaucoup de monde. La liberté, c’est peut-être de ne plus devoir se situer dans cette case.
Annaïg Plassard : Dans la bande dessinée que j’ai écrite pour le recueil, illustrée par René·e, j’explique ma vision du yin et du yang, comme deux énergies qui se complètent. C’est à nous de choisir notre dosage. Femme ou homme, chacun·e peut être plus ou moins viril·e, selon les situations.
Le Cil Vert : Attribuer la masculinité uniquement aux hommes me paraît ridicule. Moi, par exemple, je ne suis pas du tout viril. Je trouve plus intéressant de pouvoir s’attribuer des qualités humaines de façon non genrée, et donc de ne pas définir la masculinité selon des catégories fermées. Laissons les gens choisir !
Annaïg Plassard : D’ailleurs, nous avons invité des auteurices concerné·es par la non-binarité à écrire dans le livre. C’est un endroit d’exploration très chouette, qui n’est pas évident car notre vocabulaire n’est pas fait pour ça.
Le thème de la transmission et des modèles de masculinité que les hommes ont à leur disposition revient très souvent dans les récits proposés.
Annaïg Plassard : C’est vrai que la figure du père est très présente, cela m’a étonnée aussi. Le livre est tissé de ce motif, avec différentes représentations selon les auteurs.
Le Cil Vert : Quand je vivais en République Tchèque, les profs de mes enfants étaient toutes des maîtresses. Lorsque nous sommes revenu·es en France, mon fils a eu un instituteur qui est devenu un véritable modèle masculin pour lui. Nous avons besoin de redéfinir les modèles. Il faut pouvoir montrer à un garçon qu’il peut s’intéresser au social, au soin des autres, à autre chose qu’à la force ou à la compétition. Cela permet ensuite d’interroger son genre et de refuser de correspondre à cette conception de l’homme qu’on nous renvoie constamment à la figure. L’écriture inclusive sert aussi cet objectif : inclure tout le monde, ne pas catégoriser.
Il est plutôt rare de lire comment ces modèles, ou leur absence, impactent la masculinité.
Annaïg Plassard : Il est nécessaire que les hommes arrêtent de masquer leurs difficultés. Pour autant, il ne faut pas se complaire dans la souffrance. Ils doivent apprendre à gérer leurs failles et à comprendre la différence entre le pouvoir et la puissance. Cette dernière est à l’intérieur de soi, elle ne s’exerce pas sur les autres.
Si t’es un homme ! est publié à un moment où le mouvement masculiniste connaît un essor important. Des enquêtes ont montré que, tandis que les jeunes femmes adhèrent de plus en plus aux valeurs progressistes, les hommes du même âge ont tendance à se tourner vers des idées conservatrices et misogynes. Cela vous préoccupe-t-il ?
Le Cil Vert : Ce recul identitaire ne m’étonne pas. De nombreuses femmes prennent la parole pour dénoncer cette masculinité omniprésente, et en face, les hommes se sentent heurtés, ils pensent qu’ils vont perdre du terrain. Ils n’arrivent pas à s’autoriser à ouvrir les vannes de leur intimité et de leur sensibilité, car ils sont éduqués comme des machines de guerre. Mais le mouvement continue d’avancer, et ces personnes ne feront pas majorité, j’en suis convaincu. C’est tout l’enjeu : il ne faut pas les laisser gagner.
Annaïg Plassard : Je suis moins optimiste que toi. Du moins, je me refuse à utiliser l’optimisme comme ingrédient de mon fonctionnement. Je ne pense pas qu’il y ait de sens à l’histoire. Il n’est donc pas certain que les choses aillent forcément dans le bon sens, cependant, je me refuse à être contrariée par ce recul identitaire. Il n’est en effet pas si étonnant qu’il y ait un backlash, comme les féministes l’ont théorisé. C’est une question de pouvoir, les hommes ne veulent pas l’abandonner. Donc, c’est à nous d’être combatif·ves et de trouver des moyens pour se battre qui correspondent à nos valeurs. Mais tant qu’il restera des féministes, on ne sera pas mort, et le mouvement renaîtra. Nous, on a la joie, la vitalité et l’amour de notre côté.
Finalement, quel message ce livre veut-il faire passer ?
Annaïg Plassard : Au boulot les mecs ! A la fin de l’ouvrage, Maud Raffray propose d’ailleurs des pistes concrètes pour que les hommes se remettent en question.
Le Cil Vert : Je suis d’accord avec toi : au boulot les mecs, il y a du taff !
Annaïg Plassard : Et, aussi, ça va aller. On va continuer à vous aimer, surtout si vous vous mettez au boulot !
Rédaction : Marine Raut-Guillerme