Elles sont une poignée de militantes, fines connaisseuses du numérique, à avoir décidé de mettre leurs savoirs au service des personnes victimes de violences sexistes et sexuelles. L’association Echap nous explique pourquoi une connaissance poussée de nos outils numériques, et de la manière dont on les utilise, est fondamentale pour déjouer les pièges tendus par les agresseurs.
Traceurs*, cyberharcèlement, cyberviolences administratives, cyberviolences économiques… Si le numérique a eu, et continue d’avoir, un impact extrêmement positif et facilitateur pour les luttes féministes, il constitue aussi un outil supplémentaire à disposition des agresseurs. « Les cyberviolences s’inscrivent dans la continuité des violences exercées hors du monde numérique. C’est un moyen de plus pour les agresseurs d’asseoir leur contrôle », explique notre interlocutrice, membre cofondatrice de l’association Echap**.
Depuis cinq ans, ce collectif de cinq à six personnes, réparti entre Lyon, Toulouse et Nantes, s’est donné pour objectif d’armer les femmes et minorités de genre face aux cyberviolences.
« Plusieurs d’entre nous sont issues du milieu de la culture libre, du hacking. Un jour, on a décidé de faire le lien entre la technique et les personnes victimes de violences. »
Concrètement, cela se traduit par la mise à disposition de savoirs très précis pour se protéger. L’association a d’abord édité treize guides pratiques, répartis en trois catégories :
– des guides généraux (se déconnecter d’un∙e ex-partenaire, stratégie de mot de passe),
– des guides sur la sécurité des appareils (Android, iPhone…),
– et des guides sur la sécurité des comptes en ligne (WhatsApp, Instagram, TikTok…).
Le deuxième enjeu est de maintenir ces guides à jour, ce qui demande un travail conséquent. « Depuis la création de notre association, les lignes ont bougé, et ce sujet est davantage pris à bras-le-corps, que ce soit par les plateformes elles-mêmes, contraintes par le RGPD***, ou par des institutions comme la police », précise notre interlocutrice.
“La lutte contre le patriarcat passera par la pédagogie et la sensibilisation, pas par une énième appli.”
Echap propose également des formations, principalement à destination de structures accompagnant des femmes victimes de violences.
« On ne prétend pas assurer un accompagnement direct auprès des victimes – cela ne relève pas de nos compétences –, explique-t-elle. En revanche, nous accompagnons les associations qui se saisissent du sujet mais qui ne disposent pas forcément des compétences techniques. ». Le tout dans une démarche d’éducation populaire, visant à autonomiser au maximum les personnes formées.
Ces expertes en informatique gardent toutefois un regard très critique sur le monde “tout numérique” dans lequel nous vivons, et rejettent le techno-solutionnisme. « On aurait pu, comme d’autres, imaginer une appli capable de détecter un logiciel espion autour de soi, mais on n’y croit pas. La lutte contre le patriarcat passera par la pédagogie et la sensibilisation, pas par une énième appli. » Elles insistent aussi sur la nécessité de conserver des alternatives non numériques, notamment pour les paiements : « En matière de vie privée, cela soulève de nombreuses questions. Le numérique est arrivé très vite dans nos vies, et nous n’avons pas pleinement saisi les enjeux. »
Rédaction : Aurélie Lehéron
* Un traceur est une petite balise que l’on peut accrocher à un objet (smartphone, clefs…) afin de le retrouver en cas de perte. L’usage de cet outil est parfois détourné dans un but de surveillance.
** Notre interlocutrice souhaite conserver son anonymat
*** Le règlement général sur la protection des données