Depuis 2022, Nina Hadès enseigne le roller quad (1) dans les rues de Nantes. Ses élèves sont en très grande majorité des personnes sexisées, qui viennent apprendre à tenir debout sur des rollers ou se lancer dans les bowls des skate-parks. C’est aussi un moyen pour elleux d’apprendre à se réapproprier l’espace urbain.

Vous la croiserez peut-être sur l’île de Nantes, casque doré vissé sur la tête, accompagnée de ses élèves, là où le sol est lisse et les places assez larges pour rouler en zigzag. Nina Hadès, professeure de roller diplômée, enseigne sa pratique à des élèves de tous niveaux, en cours individuels ou collectifs, au rythme de chacun·e. « J’ai commencé le roller en rejoignant une équipe de roller derby. Historiquement, c’est un sport féminin et féministe, même si aujourd’hui une pratique mixte se développe, raconte-t-elle. Par la suite, j’ai eu envie de transmettre cette pratique et la liberté qu’elle procure : être mobile dehors, libre dans ses mouvements ».

Depuis qu’elle s’est lancée, la grande majorité des élèves qui la contactent sont des femmes et/ou des minorités de genre. Et cela n’a rien d’anodin. Il suffit de jeter un œil à un skate-park pour s’en rendre compte : les équipements sportifs urbains sont en très grande majorité utilisés par des hommes cisgenres. Selon le géographe Yves Raibaud, ils seraient même occupés à 95 % par des hommes et des garçons. En parallèle, les femmes, elles, sont 40 % à avoir déjà renoncé à fréquenter des lieux publics suite à des manifestations de sexisme (2). 

Pas si simple donc, de chausser les rollers et de s’imposer dans ces lieux qui frisent la non-mixité. Nina Hadès le confirme : « le roller reste un sport extrême, dans un milieu hostile. » 

D’ailleurs, elle ne dissocie pas son enseignement de la pensée féministe qui l’anime. « Prendre de l’espace dans la rue, utiliser le mobilier urbain, s’emparer des trottoirs, des escaliers, des places, c’est politique ».

Apprendre à se mouvoir dans l’espace urbain

Ainsi, sous le regard bienveillant de la prof de roller, les élèves apprennent à tomber, à sauter, à faire des demi-tours et à prendre de la vitesse. « Lors du premier cours, j’enseigne la chute de manière sécurisée. Une fois qu’on sait tomber, on sait se relever. C’est une façon de se réapproprier son corps dans l’espace et de comprendre comment il fonctionne. À quoi cela sert de fléchir à ce moment-là par exemple ? » explique-t-elle.

Au-delà du cours de sport, il s’agit donc d’apprendre à se mouvoir dehors, à la vue de tous, franchir les limites imposées aux femmes et aux minorités de genre. Nina Hadès le confirme : « Cela arrive souvent que des passants se permettent de faire des commentaires, quand ce ne sont pas des injonctions à faire mieux ou, plus impressionnant, ce sont parfois des commentaires positifs, mais le fait d’être observé·es dans la rue, cela met beaucoup de pression, alors qu’on a juste envie d’être tranquilles.
Moi, mon rôle à ce moment-là, c’est de créer de l’espace autour de nous pour que mes élèves se sentent à l’aise ».

Dans les skateparks aussi, il faut batailler pour s’imposer et ne pas céder à la pression des regards. Là encore, Nina Hadès veille : « Quand j’emmène mes élèves au skate-park, parfois, je « pisse » d’abord sur la rampe, ça permet de dégager de l’espace ! » Pisser sur la rampe, en l’occurrence, signifie se mettre en avant, exécuter des figures compliquées pour montrer qu’on sait les faire. “Dans les skate-parks, il y a un vrai travail d’éducation et de sensibilisation à faire à ce sujet. Les hommes doivent apprendre à partager l’espace. » 

En marge de la pratique en elle-même, Nina Hadès enseigne à ses élèves comment choisir, comprendre et utiliser leur matériel. Une autre manière de les rendre autonomes et de les inciter à s’affranchir des cordes invisibles qui les empêchent de rouler en toute liberté dans l’espace public.

« C’est une pratique tellement empouvoirante, on se sent tellement forte et tellement capable », assure Nina, qui se réjouit de voir ses élèves gagner en confiance et s’affirmer sur le bitume après quelques leçons. 
« Les progrès ne sont pas linéaires, il y a des bons et des mauvais jours », mais pour la prof, ce qui compte, c’est bien cette joie de « rider », de prendre de la place dans la rue : « on ne se déplace pas juste d’un point A à un point B, on est là, on est dehors, on existe. » 

  1. Le roller quad possède deux paires de roues, disposées à l’avant et à l’arrière du patin, au contraire du roller en ligne, qui, comme son nom l’indique, possède quatre roues disposées en ligne. 
  2. Chiffres issus d’une enquête de l’Institut CSA pour le Ministère des familles et des droits des femmes en 2016. 

Rédaction : Marine Raut-Guillerme
En savoir plus : sur Instagram @NinaHadès et la communauté de quad skaters à Nantes : @cib_nantes