Avant même qu’on nous voie, on nous entend. Un timbre, une intonation, quelques mots au téléphone suffisent souvent à assigner un genre et l’expérience peut être brutale. Pour les personnes trans, la voix constitue l’un des premiers lieux de confrontation à la norme genrée : elle expose, met en danger, trahit.
Kelly, 37 ans, est une femme trans nantaise. Lorsqu’elle entame sa transition en 2020, la question de la voix s’impose rapidement. « Quand on entend quelqu’un parler dans la rue, on l’assigne à un genre. Je n’apprécie pas forcément ces stéréotypes, on devrait pouvoir paraître comme on le souhaite, mais si l’on veut être en sécurité, on n’a pas forcément le choix », explique-t-elle.
C’est à ce moment-là qu’elle rencontre Lucile Beuvard, orthophoniste à Nantes, qui s’est peu à peu spécialisée dans la rééducation vocale, un parcours médical pris en charge par la Sécurité sociale. A ses côtés, Kelly cherche sa voix, joue avec sa gorge, sa bouche, découvre l’élasticité de ses muscles. « Je ne cherchais pas forcément à avoir une voix fluette. Je voulais une voix qui me ressemble. Je suis une femme grande, mais je souhaitais une voix plus douce, un peu plus haute », raconte-t-elle.
À travers des exercices de posture, d’imitation, de variation de gammes et de tonalités, l’orthophoniste accompagne des personnes trans et non binaires. « Certain·es veulent une voix qui corresponde à leur identité de genre. D’autres, dans une société idéale, ne seraient pas dérangé·es par le fait de garder leur voix, mais se sentent en danger dans l’espace public. Je reçois aussi des personnes non binaires qui souhaitent une voix non genrée, par laquelle on ne peut pas les assigner », détaille-t-elle.
Au fil des séances, ces patient·es apprennent à communiquer autrement, à mobiliser différentes tonalités et à adapter leur voix aux situations qu’iels rencontrent dans leur quotidien. Pour l’orthophoniste, « iels deviennent de véritables technicien·nes de leur voix ». Un travail qui dépasse la sphère individuelle : « C’est un enjeu politique. Il faut être là pour ces personnes, leur permettre de trouver la voix par laquelle elles seront entendues, leur permettre d’oser ouvrir la bouche ! »
La joie de chanter
Lucile Beuvard a également mis en place des groupes de voix chantée à destination de femmes transgenres. En petits groupes de cinq à sept personnes, on chante La Isla Bonita, C’est comme ça, Le Tourbillon de la vie. Kelly fait partie des premières participantes. « J’avais besoin d’explorer encore plus loin les possibilités de ma voix. Le travail par la voix chantée est plus efficace qu’un travail classique : on explore davantage de gammes et on corrige plus de choses en chantant », explique-t-elle.
Ces groupes sont aussi des espaces de rencontre et de soutien. On y échange des conseils, on partage des expériences, on rompt l’isolement que peut représenter un parcours de transition. « Rencontrer des personnes qui vivent les mêmes choses que nous, ça rassure et ça légitime notre expérience », affirme la patiente. Et puis, il y a la joie simple de chanter ensemble, à gorge déployée, de jouer avec sa voix. Tout au long de ce parcours, Kelly a traversé une large palette d’émotions. Mais une domine : l’euphorie. « Voir que le travail paye, comprendre qu’on est capable de modifier sa voix, que le corps s’adapte, c’est une vraie source de joie. »
Sans emploi au début de sa transition, Kelly a décroché un poste en 2023. Sur son lieu de travail, seules deux personnes connaissent sa transidentité. « Socialement, on ne me mégenre pas. C’est super agréable. Ça m’a apporté une forme de confort dans mon quotidien. »
Rédaction : Marine Raut