[ La rentrée littéraire vue par Marie Donzel ]

Marie Donzel est consultante en innovation sociale, directrice associée chez AlterNego et autrice. Cette Fameuse engagée pour l’égalité entre les femmes et les hommes est une lectrice passionnée et ancienne responsable de la communication aux Editions du Seuil. Zoom sur la rentrée littéraire avec cette observatrice aguerrie de l’actualité littéraire.

 

 

Quelle analyse faites-vous de la rentrée littéraire, notamment d’un point de vue féministe ?

Il y a un livre très important qui sort. Celui d’Yvan Jablonca, Des hommes justes. Du patriarcat aux nouvelles masculinités. Je le trouve très intéressant car il va dans la continuité de son précédent ouvrage Laëtitia. C’est un auteur qui s’est découvert féministe, un féminisme conceptualisé, philosophique et structuré qui aujourd’hui donne lieu à cet essai. Il est très important d’avoir une parole sur ce que les hommes peuvent et doivent faire car jusqu’ici on était coincé entre différentes littératures: l’une un peu plaintive, anxiogène, de type “les hommes vont disparaître”. Et du bon côté de la force on avait soit une littérature très militante, allant parfois jusqu’à sous-entendre que la prise de parole des hommes sur ce sujet revenait, une fois de plus, à prendre le pouvoir et qu’on était dans une impasse. Enfin, on trouvait une littérature utilitariste qui nous racontait que les hommes avaient intérêt à l’égalité. Ce qui a été un levier dans un premier temps, notamment en économie, mais pas tant que ça car les hommes ont vite compris que l’intérêt à l’égalité à court terme, à l’échelle de leur propre vie, n’était pas évident. Il est donc très intéressant d’avoir cette littérature qui cherche à bien se positionner, qui réfléchit correctement.

 

Comment la littérature féministe évolue t-elle ?

On sent qu’on est sur un tabou qui tombe. Ce n’est plus une affaire d’audace visant à briser les tabous. Le féminisme devient un sujet littéraire à part entière équivalent à n’importe quel autre sujet grave. En 2007, quand je travaillais encore dans l’édition, le livre Tom est mort, de Marie Darrieussecq, venait de sortir et je l’avais trouvé excellent. L’autrice y traite le deuil maternel d’un enfant. J’en ai parlé à un juré du Goncourt qui trouvait également que c’était le meilleur livre de la rentrée, mais il m’a dit ceci “mais qui va offrir ça à Noël ?”. Cette même année, ce sont Les bienveillantes de Jonathan Littell, qui raconte les mémoires fictives d’un officier S.S. qui a remporté le prix. On ne peut donc pas offrir un livre sur le deuil maternel, mais un livre sur les barbares ordinaires passe sans problème. Ça m’avait marqué. Il y a une espèce d’autorisation faites à adresser des sujets qui hier étaient des ‘sujets de femmes, écrits par des femmes’, mais qui aujourd’hui ont une portée romanesque universelle. Ce ne sont plus seulement des livres féministes qui n’intéressent que les femmes.

 

Les mémoires de Gloria Steinem, My life on the road, est un livre que tout le monde devrait lire. Ce que je trouve génial avec la profusion de livres féministes qu’on a aujourd’hui – même s’il en manque car j’adorerais voir Carol J. Adams rééditée par exemple, qui a été la première à penser le lien entre antispécisme et féminisme avec The sexual politics of meat – c’est que chacun peut y trouver son compte. Entre une saga nigériane, les mémoires d’une hippie avec Gloria Steinem, un point de vue plus marxiste avec Mona Chollet, il y a un choix qui permet à chacun de trouver sa voie pour aller vers une lecture féministe.

 

Le milieu de l’édition bouge donc également ?

Autant la création littéraire est très enthousiasmante autant le milieu de l’édition reste assez conservateur. Comme si il n’y avait pas de politique RH dans les maisons d’éditions. Il y a plus qu’il y a 20 ans mais ce monde reste conservateur, tout comme la critique littéraire d’ailleurs. Il y a quelques années aux Printemps des Fameuses, Laurence Parisot donnait une conférence et a dit ceci : “Au Medef, les hommes n’en revenaient pas de leur propre audace de m’avoir élue”. Et parfois cette phrase me revient quand je lis la critique littéraire. Ils n’en reviennent pas de leur propre audace de trouver Virginie Despentes une si grande écrivaine. Et je trouve cela très naïf. “Mon dieu une femme a écrit un grand livre !” [rire] On peut aussi parler de Virginia Woolf ou remonter à Jane Austen qui n’a rien à envier à Tolstoï ! Et encore, on ne parle là que de celles qu’on a retenu… 

 

Si vous deviez inviter deux auteur·rices au Printemps des Fameuses 2020, de qui s’agirait-il ?

Je voudrais faire venir Chimamanda Ngozi Adichie. Elle a 41 ans et a écrit le fabuleux Americanah mais également l’essai We should all be feminists, qu’on peut notamment faire lire à des ados. Americanah, c’est l’histoire d’une femme nigériane qui arrive aux États-Unis et qui raconte la condition de femmes racisées. Elle explique avoir découvert en arrivant chez les blancs qu’elle était noire et c’est un point de vue sur les questions d’égalité qui est hyper important à entendre. Et on peut sans mal faire le parallèle avec la questions féministes. J’aimerais aussi qu’on reçoive Ivan Jablonca, ce serait super mais on pourrait aussi en inviter plein d’autres…

 

 

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