Publié le 15.02.21
Laëtitia Greffié est diplômée d’un DEA (Master 2) d’études politiques et d’un DESS (Master) de gestion de la presse. Des expériences en presse agricole et culturelle la convainquent de poursuivre dans le journalisme. Elle arrive à Ouest-France en 1993 en CDD : c’est le début d’une grande aventure ! Successivement cheffe d’agence, cheffe de rédaction, directrice départementale par deux fois (Côtes d’Armor et Finistère), elle est aujourd’hui et depuis 2011, rédactrice en chef déléguée du journal aux 2 177 000 lecteurs·rices.
Est-il juste de dire que les médias – au sens systémique – sont sexistes ? Pour quelles raisons ?
Non, je ne crois pas l’expression juste. Je dirai simplement que les rédactions ont longtemps été… masculines. Leur féminisation a débuté notamment dans les années 2000, grâce aux embauches liées aux 35 heures. Aujourd’hui, Ouest-France compte 47% de femmes dans la rédaction. Ce qui permet de voir émerger les questions liées à la parité là où elles avaient peu de relais auparavant.
En tant que femme, qu’est-ce qui vous hérisse le poil lorsque vous écoutez la radio, regardez la télévision ou lisez un article ?
Ce qui me pose problème ? Lorsque l’information est traitée en oubliant une donnée essentielle : les femmes représentent 51% de la société française. Il paraît donc pour le moins incongru, quand on est journaliste, de l’oublier.
Surreprésentation masculine dans les expertises, traitement genré des sujets, parfois même sexisme dans les propos tenus… Les médias participent à l’instauration de stéréotypes. A grand pouvoir, grandes responsabilités ?
Evidemment les médias ont une responsabilité dans la représentation et le traitement éditorial. C’est d’ailleurs une question sur laquelle nous échangeons beaucoup avec nos lecteurs. Et il est évident que les éditeurs ont pris conscience de cet impératif depuis quelques années, grâce notamment à la féminisation des rédactions. Pour une raison simple : ils s’adressent, encore une fois, à un public composé majoritairement de femmes. Comment être légitimes et crédibles s’ils ne relaient pas leurs places effectives dans la société ? C’est une question démocratique !
A l’heure où l’on dénonce le feminism washing*, pouvez-vous nous dire à quoi ressemble, ou à quoi doit ressembler une politique volontariste en matière d’égalité femmes-hommes dans les médias ?
A ce que nous tentons de mener à Ouest-France, avec humilité, détermination mais conscients·es des efforts encore nécessaires, et en associant femmes et hommes dans la démarche : féminiser la rédaction pour qu’elle soit paritaire, faire accéder les femmes aux responsabilités, mettre en place un traitement éditorial charté et une évaluation régulière qui permettent de faire vivre pleinement cette ambition éditoriale.
Un groupe de travail baptisé « égalité » a vu le jour à Ouest-France en 2018. Suite à quels constats ?
C’est un groupe de jeunes femmes journalistes qui est venu vers nous, la rédaction en chef, en disant : on a des constats et des propositions à faire en matière de parité dans le traitement éditorial. Les constats étaient notamment le manque de femmes représentées dans les expertises, les points de vue éditoriaux, la nécessaire révision de certaines terminologies… Nous avons évidemment été d’accord et accompagné ce groupe aujourd’hui composé de femmes et d’hommes. Aujourd’hui, deux ans après, le groupe a plusieurs réalisations concrètes à son actif : la mise en place d’un guide de féminisation des titres et des fonctions des femmes dans le journal, l’écriture d’une charte de traitement des violences conjugales, des concours de miss …, la création d’un baromètre data de suivi permettant de savoir à combien de femmes nous donnons la parole dans nos colonnes, la mise en place d’un partenariat avec le site Les expertes, la mise en place de sessions d’information dans la rédaction, le lancement d’une Newsletter égalités…Nous ne sommes pas parfaits. Mais on avance.
Le fait que des femmes occupent des postes à responsabilités au sein du groupe a-t-il accéléré la prise en considération de ce sujet ?
Oui évidemment, mais pas seulement. Cette priorité rédactionnelle est portée par le rédacteur en chef lui-même en tant que responsable éditorial. Nous avons rapidement voulu que cet objectif, d’abord porté par un groupe de femmes, soit partagé avec les hommes. On ne met pas en place la parité contre eux, mais avec eux !
Une charte** visant à inscrire l’égalité F-H dans la ligne éditoriale de Ouest-France a été dévoilée fin 2020. Comment a-t-elle été reçue dans les rédactions ?
L’avantage à Ouest-France c’est que nous avons des chartes d’écriture depuis de nombreuses années. Leur réactualisation est donc un phénomène connu. Pour autant, il a fallu déverrouiller des réflexes d’écriture notamment dans le cadre des faits divers liés aux violences familiales, avec des terminologies ancrées chez de nombreux interlocuteurs comme « drame passionnel » par exemple. Cette charte a été partagée dans l’ensemble des rédactions et sa mise en œuvre permet un débat quotidien sur de nombreux traitements rédactionnels.
Vous êtes entrée à Ouest-France en 1993. Aujourd’hui, quels sont les freins persistants – idéologiques et / ou de fonctionnement – à l’instauration de l’égalité comme mantra (à Ouest-France mais aussi globalement) ?
Le retard pris dans le passé ! Aujourd’hui, il n’est plus utile de convaincre sur cette question dans la rédaction. Mais pour l’accès aux responsabilités des femmes par exemple, nous avons dû mener une politique très volontariste pour combler les retards. Et nous avons encore du travail !
La visibilisation des femmes passe par les images, mais aussi par le langage. A quand l’écriture inclusive dans la presse ?
Notre baromètre nous permet de savoir combien de femmes ont été présentées en photo en Une, en dernière page, dans nos éditions… et nous veillons à la manière dont les femmes et les hommes y sont représentés·es.
Concernant le langage, nous n’avons pas fait le choix de l’écriture inclusive au sens strict (pas de point médian, ni de règle de proximité par exemple), car nous estimons qu’elle est peu lisible dans les formats rédactionnels, notamment dans les titrailles. Cela dit, notre charte indique tout de même ceci : si on a la place, écrire « les nageuses et nageurs », « les étudiantes et étudiants », ou utiliser des mots neutres : élèves, fonctionnaires, le public… ».
* D’abord récupération commerciale, mais définition étendue à toute initiative destinée, via une exemplarité de surface, à redorer le blason d’une enseigne.
** Une charte n’est pas un texte de loi. C’est un ensemble de recommandations et de bonnes pratiques.
Rédaction Agathe Petit
Pour aller plus loin (re)découvrez l’article :
L’égalité FH au sommaire de Ouest-France
Crédit photo Ouest France