Publié le 05.07.2020
Patricia Lemarchand est médecin au CHU de Nantes, enseignante-chercheuse à l’Université de Nantes, professeure de biologie cellulaire à la faculté de médecine et ses travaux de recherche portent sur les cellules souches. Elle est également référente santé pour la Mission égalité de l’Université, qui travaille à un meilleur équilibre femmes-hommes au sein des facultés. A l’heure du Ségur de la santé et alors que la reconstruction de l’hôpital public s’annonce fastidieuse, cette experte nous donne son point de vue pour repartir sur des bases saines avec un système où l’égalité est une règle. Entretien.
Ces dernières semaines les hôpitaux ont été scrutés et un sujet à émergé : celui de la prédominance féminine au sein des personnels hospitaliers. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Un constat certes, qui n’est en aucun cas une révélation ! Personne n’a découvert que majoritairement les aide-soignantssont des aides-soignantes, les infirmiers des infirmières etc. De même, les français·es n’ont pas été surpris·es de constater que les caissiers des supermarchés sont principalement des caissières. Il est vrai néanmoins que le confinement à mis en lumière cette thématique des « premières de corvée ». Si en plus, on étudie la composition du Conseil scientifique – où très peu de femmes ont siégé pendant la crise – on se rend compte que même pour des critères aussi simples que la parité on est plutôt en régression depuis le début de la crise sanitaire. J’ai d’ailleurs écrit au Président de la République quelques jours avant le déconfinement pour lui faire part de mon indignation quant au manque de consœurs dans les assemblées de soignants constituées par le gouvernement. Il y a un vrai problème de hiérarchisation des priorités : tant que l’égalité n’en sera pas une, on n’avancera pas. Nos dirigeants ont-ils entendu parler du « Gender mainstreaming » ?
Une petite piqûre de rappel ?
Oui, il s’agit d’un texte proposé par l’Institut européen pour l’égalité des femmes et des hommes (EIGE) et adopté à échelle internationale. C’est un concept de politique publique dont l’objectif est d’évaluer les conséquences sur l’égalité de toute action politique planifiée, de sa conception à son application éventuelle, dans tous les domaines et à tous les niveaux. A bon entendeur !
Est-ce que cette médiatisation de la sur-représentation des femmes parmi les personnels soignants, souvent les plus précaires, a fait bouger des lignes ?
A l’hôpital ? Rien ne bouge, c’est même « un peu pire » comme dirait Houellebecq. En situation de crise vous comprenez, « on n’a plus le temps de s’occuper de l’égalité femmes-hommes ! » … Pourtant les inégalités, beaucoup de femmes les vivent en ce moment. Je pense aux personnels de ménage, en grande majorité des femmes : l’hôpital n’est pas leur employeur, c’est un sous-traitant. Elles n’ont donc pas le droit à la prime « covid ». Des annonces il y en a, mais des actes ? Cela fait un mois que les négociations du Ségur de la santé – censé rebooter le système – ont commencé et nous n’avons pas le début d’une piste d’amélioration. Sur la revalorisation des salaires, qui est un enjeu crucial aussi pour l’égalité, aucun chiffrage n’est sorti pour l’instant.
La colère des soigant·es est très vive. Les revendications (meilleures conditions de travail, hausse des salaires, augmentation des effectifs et arrêt des fermetures de lits) sont-elles soutenues par toutes les strates du personnel ?
Je pense qu’elle est très partagée. Les collectifs, tels que le Collectif inter-Hôpitaux, permettent de fédérer efficacement mais ces revendications ont toujours été un travail d’équipe. Mon expérience me fait dire qu’il y a une vraie solidarité inter-personnels. Ce qui est plus inquiétant mais non moins vrai, c’est qu’une partie du personnel soignant n’y croit plus. Ces mois de grèves ignorés par le gouvernement en ont démobilisé plus d’un·e. Certain·es quittent le service public, mais pas à cause de la gestion de la crise sanitaire actuelle, à cause de ce mouvement de fond qui ne nous permet pas de travailler dans de bonnes conditions. A Nantes, nous avons 250 patient·es à revoir à distance de leur hospitalisation pour « covid » comme le recommandent les sociétés savantes, mais le retard de prise en charge était déjà important avant le confinement, toutes pathologies confondues, il s’est aggravé depuis. Il nous est ainsi très difficile d’organiser le suivi de ces 250 patients.
Comment établir un équilibre, une meilleure répartition femmes-hommes au sein des personnels médicaux ?
Pour ce qui est des aides-soigant·es, des infirmier·es et des personnels d’entretien, cela passe impérativement par une revalorisation salariale : comment mobiliser des hommes sur des professions qualifiées de « féminines » si en plus le salaire ne suit pas ? Pour ce qui est de la partie que je connais le mieux, à savoir les médecins, ce qu’il manque c’est une politique volontariste, qui tienne compte des statistiques de genre dont nous disposons depuis très longtemps. Dans les années 80 lorsque j’ai commencé mes études, il y avait déjà 50 % d’étudiantes en première année de médecine. Ça fait plus de vingt ans qu’elles représentent un peu plus de 60 % des effectifs étudiants. Comme toujours, c’est l’effet plafond de verre qui vient casser cette dynamique. Ça commence dès l’internat et ça se poursuit jusqu’à la carrière académique. De quoi expliquer la répartition inégale des hommes et des femmes selon les disciplines (beaucoup de femmes en dermatologie et en pédiatrie, beaucoup d’hommes en cardiologie et en chirurgie entre autres) mais aussi un pourcentage qui ne dépasse guère les 20% de femmes professeures de médecine, pourcentage qui n’augmente plus depuis 2013.
Il n’y a pas qu’à travers son personnel que les inégalités existent voire persistent à l’hôpital. L’autre sujet que vous portez, c’est celui des inégalités de soins entre hommes et femmes. Des inégalités qui découlent de biais genrés dont s’est imprégnée la médecine au fil de son histoire. De quels écarts parle-t-on ?
La description des pathologies tout comme la liste des symptômes qui l’accompagnent sont le plus souvent masculines.Hors, la médecine n’est pas unisexe ! Le genre peut avoir son importance. Pour les femmes, les signes d’infarctus du myocarde par exemple ne sont pas les mêmes que chez les hommes. Ces derniers vont ressentir une douleur thoracique qui irradie dans le bras gauche : tout le monde ou presque peut interpréter ces symptômes et saisir l’urgence de la situation. Les femmes elles, ressentent des nausées et de l’anxiété, ce que personne n’interprète comme des signaux d’alerte. La prise en charge d’une femme aujourd’hui en France prend une heure de plus en moyenne pour un infarctus, et cela peut avoir de graves conséquences : chez les moins de 50 ans, le taux de mortalité dû à un infarctus du myocarde est plus élevé chez les femmes. Il est important de préciser que ces écarts de prise en charge concernent aussi les hommes. L’ostéoporose en particulier, est encore perçue comme une maladie « féminine ». Pourtant, de nombreux hommes sont touchés, mais ces présupposés retardent les traitements.
Propos recueillis par Agathe Petit