Léna Lazare et Sandrine Roudaut ne se connaissent pas mais interviendront toutes deux lors du festival des fameuses le 27 juin à Nantes. L’une est une jeune militante écologiste toujours sur le terrain, la seconde est une écrivaine et éditrice, mais aussi une citoyenne engagée et membre des fameuses qui a fait des utopies sa spécialité depuis 15 ans. Leur point commun : l’écoféminisme.
Pour commencer, quelques mots à votre sujet… Qui êtes-vous ?
Léna : J’ai 25 ans et suis originaire du Pas-de-Calais. Je suis activiste à temps plein tout en travaillant à mi-temps au sein de l’association Terre de Luttes. En parallèle, je suis en recherche de terres pour mon installation agricole. Voilà quatre ans, j’ai cofondé le mouvement Youth For Climate. Et, depuis deux ans, je suis engagée dans le groupement Les soulèvements de la terre, principalement dans la lutte contre les méga-bassines.
Sandrine : J’ai 53 ans et je suis née près de l’océan. J’ai été frappée d’éco-anxiété en 2001 lorsque je suis tombée enceinte. Depuis, je me bats pour un autre monde, notamment en essayant de comprendre comment on peut y arriver. En 2014, j’ai écrit L’utopie mode d’emploi sur les leviers d’un changement radical, deux ans plus tard Les Suspendu(e)s sur la désobéissance et la soumission à l’autorité puis Les Déliés, en 2020, un roman d’anticipation résistant. Perspectiviste et conférencière, je suis également la cofondatrice de La Mer Salée une maison d’édition engagée.
Vous définissez-vous comme féministe ?
Léna : Totalement !Derrière ce terme, j’y entrevoie une notion de lutte et de combat. Nos droits peuvent être remis en cause d’un jour à l’autre. En tant que femme, je vois bien qu’il y a des schémas de domination à l’œuvre tous les jours dans la société. C’est aussi pour cela que nous sommes plus nombreuses à nous engager dans le milieu écolo.
Sandrine : Longtemps j’ai fui les mouvements féministes que j’associais aux revendications sociales. Or être l’égale des hommes dans ce monde ne m’intéressait pas, je voulais nourrir un tout autre monde, c’est le moteur d’un utopiste. Quand j’ai publié mon premier livre, tout naturellement je me disais “auteure” mais ça a déclenché des réactions qui m’ont hallucinée ! D’évidence c’est devenu une revendication. Donc, oui je suis féministe, c’est un mot qui pique à défendre, le début de la déconstruction. Mais surtout je le suis devenue quand j’ai rencontré l’écoféminisme.
Quelles sont vos inspirations ?
Léna : Je me reconnais beaucoup dans ce qu’a pu défendre Françoise d’Eaubonne [pionnière de l’écoféminisme]. Elle a montré qu’il était possible d’associer cette radicalité dans les modes d’actions écologistes à cette pensée d’éco-féminisme. C’est assez inspirant. Elle a notamment défendu ce qu’elle nomme la “contre violence”. Un terme qui raisonne d’autant plus puisque Soulèvements de la terre est accusé d’être à l’origine d’actions violentes. Il y a aussi toutes ces anonymes dans le mouvement écologiste.Je pense notamment à ces femmes au foyer qui ont bloqué des chantiers de centrales nucléaires.
Sandrine : Françoise d’Eaubonne oui, Pascale d’Erm (Sœurs en écologie – Ed. La Mer Salée). Emma Goldman (anarchiste russe), Germaine Tillon (résistante et ethnologue), Mahdiya Hassan-Laksiri (fameuse multi-engagée), mais aussi Adelaïde Bon (La petite fille sur la banquise), Sandrine Rousseau (activiste politique) avec lesquelles j’ai coécrit Par-delà l’androcène ou encore Adèle Haenel pour les actes qu’elle pose. Toutes ont un point commun : ce sont des femmes libres. Mais les femmes inspirantes j’en vois tous les jours, notamment des jeunes, et cela m’émeut beaucoup.
Les femmes, toutes générations confondues, ont-elles un rôle particulier à jouer dans la lutte écologiste ?
Léna : Ce n’est pas un problème générationnel. Sur le terrain, j’agis avec des personnes de tout âge et de tout horizon. De plus en plus de personnes comprennent ce qu’est l’écoféminisme et défendent une écologie populaire et intersectionnelle.
Pour faire converger les luttes, faut-il sortir de l’entre-soi ? Et comment s’y prendre concrètement ?
Léna : S’il n’y avait pas de mixité sociale dans les marches pour le climat, aujourd’hui, l’écologie a passé un cap. On l’a vu lors de la mobilisation massive contre les méga-bassines avec une forte implication des syndicats (CGT, Solidaires…). Signe que l’on peut rassembler le plus grand nombre. Mais il faut garder une certaine radicalité pour revenir aux racines du problème sans quoi on s’oriente vers de fausses solutions.
Sandrine : S’il ne faut pas « d’entre-soi » on a néanmoins besoin d’« avec soi ». Pour unir les luttes on doit trouver un dénominateur commun, alors on juge, on rabote la flamme de chacun. Suivons notre élan singulier, trouvons nos allié•es et fonçons. Tout en ayant de la bienveillance envers les choix qui ne sont pas les nôtres, envers chaque cause. J’aime la multitude, l’idée d’une grande famille où chacun•e s’occupe d’un bout de la maison.
Vous intervenez le 27 juin prochain au festival des fameuses ayant pour thème “Utopies féministes – Panser et repenser le monde”. Quelles seraient vos utopies féministes ?
Léna : La question de la démocratie est importante dans la lutte écolo. Dans mon utopie, il y a d’autres formes de démocraties qui nous laissent un pouvoir d’agir sur nos vies et qui donnent plus de pouvoir aux habitant•es d’un territoire, aujourd’hui dépossédé•es des décisions.
Sandrine : Avoir une candidate écoféministe qui prend la présidence, puis démissionne au profit d’autres instances citoyennes, ça aurait du panache ! Et que des livres racontent comment nous nous sommes autorisées à rêver grand et renverser l’ordre établi.
Propos recueillis par Florence Falvy