Publié le 24.05.2021
Marion Cornu a intégré la direction internationale de Fidal à Paris en 2004 en tant qu’avocate en droit social où elle a exercé pendant 11 ans avant de rejoindre la direction régionale de Nantes. Pour lutter contre les inégalités encore bien ancrées dans la profession, cette Fameuse continue de s’investir avec conviction.
Vous définissez-vous comme une avocate féministe ?
Oui, je me suis toujours sentie féministe. Mais, contrairement à ceux qui entrevoient derrière ce terme une notion de lutte et de combat, j’aspire de mon côté à l’égalité des droits. J’ai eu l’envie de croiser ma casquette de féministe et celle d’avocate et de ne pas dissocier mes convictions et la réalité du métier. Même si la profession de féminise – le barreau de Nantes compte 60% de femmes parmi ses effectifs (1 123 avocat·es)-, l’égalité FH ne progresse pas au même rythme. Et bien que l’on évolue dans un monde de droit, il est parfois difficile de faire reconnaître des inégalités pourtant flagrantes. Et il ne faut pas oublier le « sexisme ordinaire », plus insidieux mais bien présent.
Est-ce pour cette raison que vous avez initié, en 2018, la commission égalité du barreau de Nantes ? Et quel est son rôle ?
Effectivement, j’ai souhaité agir concrètement. L’idée de créer une commission pérenne m’a été suggérée par Jean-René Kerloc’h, bâtonnier du barreau de Nantes à l’époque. Elle se compose d’une vingtaine de membres, parmi lesquels deux hommes, qui se réunissent une fois par mois. Sa vocation : mettre en place des actions récurrentes visant à sensibiliser, faire de la prévention et changer les mentalités.
Même si nous n’avons pas d’autorité en tant que telle, nous essayons aussi d’être une cellule d’écoute, une instance de dialogue et d’échanges. Si la parole se libère difficilement, la commission a été sollicitée pour quelques cas de discrimination ou d’inégalité. Les lignes bougent au sein de la profession mais c’est la politique des petits pas. Raison pour laquelle je milite pour que cette commission égalité soit systématisée au sein des barreaux.
Récemment, quelles actions avez-vous menées ?
Nous avons soumis au Conseil de l’Ordre une charte de bonnes pratiques à l’audience, qui serait signée par les juridictions, avec un rappel de règles de bienséance : accepter avec bienveillance les demandes de renvoi des consœurs enceintes ou les faire passer en priorité lors de l’appel des affaires… Sur le fond, elle a rencontré un accueil favorable mais pas sur la forme. En effet, elle avait été rédigée en écriture inclusive, ce qui ne faisait pas l’unanimité. Nous avons donc revu notre copie. Elle sera de nouveau soumise au Conseil de l’Ordre.
Depuis plus d’un an, nous travaillons également sur un projet que nous souhaiterions emblématique : l’adoption d’un « contrat chance parentalité » au sein du barreau, la maternité pouvant être vue comme un frein dans la profession. Ce contrat d’assurance collectif permettrait d’augmenter les indemnités perçues par les collaboratrices et celles perçues par les cabinets pendant le congé maternité, en mutualisant le « risque » maternité sur tout le barreau. Ce projet pourrait être présenté au Conseil de l’Ordre à la rentrée prochaine mais nous souhaitons mener nos investigations jusqu’au bout afin de mettre toutes les chances de notre côté.
Autre sujet important : le congé paternité. Seul le barreau de Paris a été précurseur en la matière puisqu’il a allongé la durée du congé paternité à 4 semaines depuis 2014. A Nantes, clairement, notre objectif est d’harmoniser ce système, ce qui serait parfaitement cohérent avec le passage du congé paternité à 4 semaines dans le régime salarié à compter du 1er juillet prochain.
Quel bilan trois ans après ?
Globalement, nous sommes encouragés dans notre démarche et nos actions ont rencontré un accueil favorable. Christine Julienne (la troisième femme élue bâtonnier du barreau de Nantes) a eu un discours de soutien à notre égard, tout comme ses deux prédécesseurs Bruno Carriou et Jean-René Kerloc’h. Le principal obstacle pour avancer est le manque de temps des avocats et avocates impliqués. De même, dans le contexte actuel, d’autres enjeux – sanitaires, économiques – peuvent sembler prioritaires. Le risque est de reléguer la question de l’égalité FH en second plan.
Envisagez-vous de céder la présidence de cette commission ?
Oui, j’y pense depuis plus d’un an. Un changement est donc envisagé en septembre. Mais il y a peu de candidats à la relève. Ce n’est pas un manque d’envie mais de disponibilité. Il faut être vigilant à ce que la cause ne s’essouffle pas. D’où la nécessité de combiner un travail d’actions « terrain » et de réflexion sociétale au sein de la commission. La mobilisation doit se poursuivre collectivement.
Faisons à présent appel à votre casquette d’avocate… Le télétravail s’est imposé ces derniers mois. Quid du contexte règlementaire ?
Du fait de la pandémie, une négociation rapide et efficace sur le télétravail a été lancée entre les partenaires sociaux. Ce qui a débouché sur un accord national interprofessionnel le 26 novembre 2020. Cet ANI d’une vingtaine de pages ne créée pas de droits nouveaux. Il s’agit d’un accord opérationnel qui vient clarifier les règles existantes. Le texte précise que la signature d’un avenant n’est pas nécessaire en cas de télétravail, même si l’écrit reste recommandé. Un sujet majeur y est également abordé : le rôle des managers dans la préservation du lien social. On y trouve aussi des préconisations, comme la nécessité pour les entreprises de prendre le temps de la réflexion et de privilégier le dialogue social afin de co-construire un accord qui soit adapté au secteur d’activité, aux attentes clients… Cet ANI précise que le télétravail ne doit pas être un frein au respect de l’égalité mais il ne va pas au-delà.
En quoi le télétravail a-t-il été révélateur d’éventuelles inégalités FH ?
D’un point de vue juridique, le télétravail n’a pas creusé les inégalités. Mais certains experts ont pointé du doigt le risque d’accroissement de la charge mentale des femmes. Elles sont d’ailleurs plus nombreuses à avoir appelé les plateformes d’écoute pour aborder des problèmes liés à l’équilibre vie privée/vie professionnelle et aux difficultés à gérer l’absence de frontière claire entre les deux sphères.
Plus personnellement… En tant que mère de trois enfants, avez-vous été impactée dans votre propre organisation ?
J’ai très mal vécu cette période. Lors du premier confinement, j’ai dû faire face à une très forte charge de travail. Mes enfants étant petits, j’ai enchaîné les doubles journées… Quand vous devez travailler et gérer l’intendance, être disponibles pour vos clients et pour vos enfants, la charge mentale est effectivement à son apogée… J’ai eu l’impression d’être en injonction contradictoire permanente.
Propos recueillis par Florence FALVY
Crédits photos : Marion Cornu / Extrait de l’exposition Paye ta Robe présentée au Barreau de Nantes en 2019 – illustration Léna Bojko