[L’Infâmeuse]
Les avocats, qui ont toujours un coup d’avance, élisent leur futur bâtonnier un an avant sa prise de fonction. Au barreau de Nantes, on sait depuis décembre que Maître Christine Julienne succèdera, pour 2021 et 2022, à Maître Bruno Carriou en tant que … bâtonnière, bien entendu !
Et pourtant, peut-être pas. Ce qui paraît logique, n’est en fait, pas certain. Les premières prises de positions de la future impétrante laisseraient entendre sa préférence pour se faire donner du « bâtonnier », comme son prédécesseur masculin (il est vrai, qu’il porte aussi la robe…).
Bien sûr, la correction la plus élémentaire conduit à s’incliner devant le choix d’une femme avertie, qui a le droit de se faire appeler comme elle veut, d’autant plus que certaines conventions hors d’âge et même l’Académie Française semblent de son côté.
Les Immortels rappellent, en effet, au sujet d’une fonction, qu’elle peut être « distincte de son titulaire et indifférente à son sexe – elle est impersonnelle car elle ne renvoie pas à une identité singulière, mais à un rôle social, temporaire et amissible, (qui peut se perdre). On n’est pas sa fonction, on l’occupe. ». Soit ! Le français, on le sait, a ceci de particulier, que le masculin peut être employé comme genre générique. (« docteur » peut désigner indifféremment un homme ou une femme, par exemple). Dont acte ! Mais il n’empêche…
En février s’est produite une petite révolution sous la coupole : les mêmes académiciens ont fini par reconnaître qu’il « n’exist(ait) aucun obstacle à la féminisation des noms ». Le premier ministre lui-même, dans une circulaire du 21 novembre 2017, relative aux règles de rédaction des textes publiés au Journal officiel, a préconisé que « s’agissant des actes de nomination, l’intitulé des fonctions tenues par une femme (soit) systématiquement féminisé…». Tiens, tiens. Aurait-on changé d’époque ?
Au XXIe siècle, la plupart des métiers manuels sont déjà féminisés depuis belle lurette. Pour les noms de métiers et de fonctions placés au sommet de l’échelle sociale, les choses avancent, mais plus lentement. Cette résistance augmente bizarrement à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie professionnelle. Pourquoi ?
Si on travaille au quotidien avec des « assistantes », des « collaboratrices » ou des « greffières », que l’on plaide devant des « conseillères » et même des « présidentes » ce ne serait faire injure ni à personne, ni à l’époque, que de se faire appeler « bâtonnière ». A défaut d’avoir un temps d’avance…