Publié le 21.12.22

Une fois n’est pas coutume, la Fameuse interview du mois donne la parole à … un homme ! Eric Warin, directeur du Centre de Communication de l’Ouest avec lequel il a cofondé les Fameuses et le Printemps des Fameuses, fait aujourd’hui le bilan de 10 ans d’engagements et d’initiatives en faveur de l’égalité. À l’heure où il s’apprête à se « mettre en retrait » tout en restant disponible, il répond à nos questions sur l’histoire et l’évolution des Fameuses depuis 2012. Entretien.

 

Quand et avec qui ont été créées « Les Fameuses » ?

« Les Fameuses » sont nées en 2012 à l’initiative du Centre de Communication de l’Ouest [le CCO se définit comme spécialiste et promoteur de l’innovation sociale, sociétale et managériale dans le Grand Ouest] sur la base d’un constat : dans les médias et les milieux professionnels, les femmes étaient sous-représentées. L’intention était alors de créer un réseau d’expertes, à l’instar de ce qu’avait créé Caroline de Haas, pour mettre en visibilité les femmes ayant des niveaux d’expertises et de responsabilités importants. Et ainsi, rassembler de façon transversale des réseaux féminins nantais qui ne s’étaient jamais rencontrés ou rarement. Avec le réseau Business au Féminin (BFN) fondé par Sophie Bellec et Annie Sorel, nous avons organisé la rencontre inaugurale des Fameuses en octobre 2012 en réunissant au CCO une quarantaine de femmes de réseaux. Cela nous a permis de constater la pluralité d’approches sur cette question d’égalité et les niveaux variables de militantisme. Pour rassembler tout le monde, il fallait donc trouver un point d’équilibre entre les points de vue de chacune car les voies pour arriver à une plus grande mixité et égalité dans les entreprises ne sont pas les mêmes. Puis avec le temps, Les Fameuses ont évolué vers un mouvement inévitablement plus sociétal, plus transversal, collectif et féministe.

Cet engagement féministe des Fameuses n’était pas revendiqué en 2012 ?

Si, d’une certaine manière, mais au départ notre démarche était pragmatique en visant les niveaux de décision et les sphères économiques. De fil en aiguille, le constat a été fait que l’on ne pouvait pas aborder cette question de la mixité sans s’informer sur ce sujet compliqué et sans revendiquer une forme de féminisme évident. Le féminisme c’est la recherche d’égalité entre les femmes et les hommes et d’une façon plus générale, entre les genres, entre les gens.

Comment a été trouvé le point d’équilibre dont tu parles pour fédérer les membres des Fameuses ?

Cela s’est fait de façon pragmatique avec le temps. Vouloir agir dans le milieu économique, aller chercher des financements, ne pas forcément exclure les hommes, aborder la question de l’égalité femmes-hommes avec des outils empruntés à la sphère professionnelle : un annuaire, des rencontres networking, des moyens financiers, la création d’un site internet. En somme, une démarche professionnalisée qui était en soi une nouveauté et une manière d’accorder les différentes voies. C’était en 2012 donc 5 ans avant MeToo ! Cette parole était peu présente dans les cercles économiques et de décision.

Comment as-tu vécu le fait d’être un homme au sein de ce réseau composé de femmes ?

C’est une situation particulière d’être un homme sur cette question de l’égalité. Au début je n’ai pas mesuré la complexité des enjeux de cet engagement personnel. Il y avait un peu de naïveté dans ma démarche au départ : mon travail étant de mettre en réseau des relations et j’ai constaté que parmi ces relations il y avait trop peu de femmes. J’ai noté un manque, une injustice, un défaut de représentativé de la société telle qu’elle est. Être un homme a pu être un atout pour parler de ces questions dans des milieux où ce sont plutôt des femmes qui le font – ou ne le font pas d’ailleurs – et j’ai constaté avec le temps et à regret, que le fait qu’un homme prenne la parole sur ces questions donnait une écoute différente. Cela m’a permis parfois de trouver des financements ou d’être un cheval de Troie dans des milieux où il m’a été plus facile d’en parler parce que je suis un homme. Mais j’ai aussi mesuré que cette position impose une responsabilité particulière. La responsabilité d’apprendre, de se documenter pour pouvoir parler de ce sujet. Il faut travailler, avoir des arguments, il faut lire, s’enrichir, muscler son jeu sur cette question extrêmement complexe. Et surtout apprendre à parler avec, pas à la place, savoir écouter et savoir aussi se taire. Pas toujours simple au début pour quelqu’un comme moi (rires).

Comment as-tu nourri ta réflexion durant 10 ans ?

La lecture, les podcast, les événements féministes et, bien sûr, les conversations avec les « copines » des Fameuses, car je les appelle comme ça ! Ce mouvement n’aurait jamais pu se faire sans la constitution originelle d’un groupe d’une quinzaine de femmes. Les discussions avec ces femmes qui maîtrisent le sujet m’ont fait prendre conscience que le féminisme, c’est une expertise. Je pense notamment à Marie Donzel, Elisabeth Ferro-Vallé, Sophie Marinoupolos, Stéphanie Dommange , Maud Raffray, puis Clémence Leveau, Clémentine Lemaire …mais cela me gêne de ne pouvoir toutes les citer !

Aujourd’hui, ce que j’ai appris me pousse à entamer une nouvelle phase : celle de me taire, d’écouter et de faire un pas de côté. Je veux me mettre en retrait car j’arrive à une phase de maturation d’un point de vue personnel mais aussi pour donner une nouvelle dynamique à ce groupe. Pour être en cohérence avec tout ce que j’ai appris durant ces années, j’ai décidé de moins prendre la parole et surtout de prendre moins de décisions.

Depuis la création des Fameuses en 2012, comment l’évolution de la société sur la question de l’égalité – notamment avec la vague MeToo – a-t-elle eu un impact sur ta façon de penser le collectif Les Fameuses ?

En 2012 déjà, il a fallu détecter un certain nombre de signaux qui laissaient penser que la question de l’égalité femme-homme allait prendre une nouvelle dimension. Je pense notamment aux Femen et à mon sens, l’avènement de ce mouvement a été fondateur d’une nouvelle vague féministe qui allait s’emparer des médias. C’est ce que l’on voit aujourd’hui : la question est présente dans les médias, sur les réseaux sociaux. MeToo, c’est Twitter ! En 10 ans, nous avons pris conscience que le sujet de l’égalité allait désormais être abordé de façon différente (en particulier dans le monde des entreprises, que je remercie au passage pour leur confiance).

Quels souvenirs gardes-tu des Printemps des Fameuses ?

À titre personnel c’est l’enrichissement permanent : depuis 10 ans, ce sujet m’a nourri et remis en question. Ma petite satisfaction est d’avoir participé à porter cette parole avec des outils peu utilisés à l’échelle locale tels que l’évènementiel qui représente quand même un certain pari avec notamment l’économie gourmande que cela implique. Ce pari a été réussi car il s’est appuyé sur un besoin, un engouement. Je garde en souvenir d’avoir réussi à proposer un événement annuel ambitieux, qualitatif, proposant un équilibre entre un fond exigeant et une forme accessible avec un climat à la fois d’écoute et de poil à gratter. Et je garde un souvenir particulier du premier Printemps des Fameuses version grand format que nous avons organisé à Stéréolux, en mars 2017 avec Marie Donzel à la co-animation. C’était assez jubilatoire de constater que ce sujet pouvait entrainer un tel élan.

Conduire la direction des Fameuses pendant 10 ans a-t-il modifié certains de tes comportements en tant qu’homme ?

D’abord j’espère que je ne partais pas de trop loin (rires) mais il n’y a pas de hasard, j’avais un tas de bonnes raisons pour m’intéresser à ce sujet. Sur un plan sociétal et sur un plan personnel. Je considère d’abord que c’est une façon utile de faire de la politique, parce que cette question est absolument transversale. Elle recoupe tous les enjeux de société. C’est une loupe incomparable pour essayer de comprendre le monde puisqu’il est construit sur un modèle patriarcal. J’aime beaucoup les hommes mais force est de constater qu’en regardant l’Histoire – la grande – tout autant que la petite, – la nôtre et celle de nos proches – avec cette loupe, on réalise que les femmes partent toujours avec un handicap, notamment sur le sujet économique mais pas seulement. Elles ont toujours un peu plus de mérite que les hommes. J’ai trois filles, une petite-fille, une femme, une mère, une belle-mère, des tantes, des amies femmes… auxquelles je dois beaucoup. Avec le recul je comprends mieux les enjeux qui existent derrière cette question de l’égalité femmes-hommes, pour elles et pour la société en général. J’ai aussi un petit fils, des potes, des frères … et je m’interroge avec de l’indulgence autant que de l’exigence, sur la place des hommes et sur nos responsabilités. Les hommes ont tous au minimum une première responsabilité de prendre conscience qu’il y a objectivement un biais d’égalité en notre faveur. Leur deuxième responsabilité est la nécessité d’en comprendre les fondements, d’apprendre, de lire, pour étayer ce constat d’inégalité par des faits. C’est à la fois nécéssaire et passionnant. Enfin la troisième étape c’est d’accepter d’évoluer réellement, de mieux partager et donc, de céder un peu de ses avantages.

Toi qui parles d’« indulgence », es-tu indulgent face aux hommes qui n’ont pas les mêmes engagements que toi pour l’égalité des genres ?

Il y a une indulgence collective et une indulgence individuelle. L’indulgence collective c’est d’accepter que les hommes font eux aussi partie d’un système qui les dépasse car le patriarcat n’a pas été inventé par chaque homme individuellement, même si chacun en profite. C’est un vrai enjeu parce que la plupart des hommes atteints par cette question du féminisme peuvent avoir tendance à se mettre sur la défensive en ayant l’impression qu’on les rend responsables de quelque chose qui dépasse leur responsabilité personnelle. Mais l’indulgence individuelle, elle, n’est plus de mise face au sexisme patent, à la mauvaise foi et à l’ignorance coupable qui ne fait pas de différence entre une opinion et des faits. Cela peut créer des discussions plus fermes voire des conflits. Il faut l’accepter et adapter son registre : la pédagogie, le débat, ou les discussions tendues. Je trouve que les arguments qui marchent le mieux sont les arguments économiques, les chiffres, les inégalités de salaires, les différences de pensions, les pertes de chance en carrière et aussi les arguments de ce que le patriarcat coûte aux hommes eux-mêmes. Et je sais de quoi je parle. Mon père était l’archétype de la masculinité toxique : déviant, défaillant, violent, mais finalement lui-même aussi victime. Il en a fait de la prison. Il y est même mort. Comme Lucile Peytavin le souligne dans son essai « Le coût de la virilité » : 96% des personnes en prison sont des hommes. Plus de 90 % des auteurs de viols, violences sexuelles, violences au sein du couple, cambriolages, vols, infractions sur les stupéfiants, infractions liées à l’alcool ayant entrainé la mort etc, sont des hommes. Il faudrait que les hommes comprennent qu’eux aussi sont le résultat d’un système.

Tu parlais de maturation pour évoquer ton sentiment actuel, parlerais-tu également de saturation d’évoluer dans le militantisme ?

Oui bien sûr, il faut de l’endurance. Travailler sur ce sujet peut donner l’impression que l’on n’y arrivera jamais. Le nombre d’endroits où les inégalités se jouent est tel que cela peut être décourageant. On peut comprendre qu’on puisse éprouver une certaine saturation. Seulement, à la différence des femmes, j’ai le privilège de pouvoir me défaire de ce poids des inégalités parce que mon genre ne me ramène pas personnellement à en supporter la charge. Mais je continue de me rendre disponible à l’endroit où l’on aura besoin de moi car je ne suis pas encore à l’heure d’arrêter ces questions.

Comment envisages-tu ta place au sein des futures fameuses ?

Je n’ai pas du tout imaginé ni dessiné l’endroit où je pourrais être pour l’avenir des fameuses ! Et c’est important de ne pas le faire car sinon cela serait en contradiction avec ma nécessité de me rendre disponible pour être un allié utile.

Tu connais bien les 3 nouvelles co-présidentes des fameuses, Clémentine Lemaire, Clémence Leveau, Maud Raffray, aurais-tu un message à leur transmettre ?

Non, justement, surtout pas ! Pas de conseil, pas de critique, que des compliments ! Et un grand merci d’accepter de poursuivre l’aventure.

Que souhaites-tu au collectif des fameuses ?

Le succès ! Localement, il y a un foisonnement d’expertises, de travail de terrain, d’initiatives nouvelles… S’il y a quelque chose à proposer en plus de tout ça c’est peut-être la capacité à les mettre en valeur, à fédérer les énergies et les revendications, à jouer collectif. À ce stade, c’est la fédération collective qui va permettre d’avancer de pas supplémentaires.

 

Propos recueillis par Solenn Cosotti

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