Publié le 22.04.22

 

Sophie Bellec est une femme de l’ombre qui œuvre pour le parcours des femmes en mettant en lumière la mixité dans l’enseignement supérieur et l’égalité dans différents secteurs professionnels. Un engagement de longue date et qui fait d’elle une experte avisée de l’égalité professionnelle dont l’approche doit – selon elle – nécessairement être systémique. Entretien…

 

Vous êtes très impliquée sur les questions de l’égalité et de mixité dans le milieu professionnel… Ces thèmes ont guidé votre parcours. Pourriez-vous revenir sur les étapes clés ?

 

En 2006, j’ai fait partie du noyau des fondatrices du  Réseau Business au féminin Network (BFN), premier réseau de femmes cadres et dirigeantes à Nantes avant d’en prendre la présidence de 2017 à 2021. Cette association, qui réunit 65 adhérentes, permet un partage de bonnes pratiques, de compétences et d’entraide pour développer son business mais aussi mener sa carrière avec plus d’ambition. Cette structure a aussi une mission d’influence en contribuant à des actions autour de la question de l’égalité. Avec BFN, j’ai également participé à la création des Fameuses en 2012. Via ces réseaux, j’ai notamment eu l’occasion de travailler sur le dispositif NegoTraining, une formation gratuite à la négociation salariale destinée aux femmes initiée par Nantes Métropole et la Chaire RSE d’Audencia en 2017.

 

Après 25 ans de consulting, j’ai intégré en juillet 2021 l’école d’ingénieur·e ESB (École supérieure du bois) comme responsable Emploi & Carrière. J’y suis également référente Élèves Égalité F/H. Mon rôle consiste à réfléchir à un dispositif qui garantisse le maximum d’égalité et de mixité dans la formation, l’admission des élèves ou encore notre communication, avec un volet sur la lutte contre le harcèlement et les violences sexistes. La volonté est aussi de féminiser les effectifs.

 

D’où vous vient cet engagement ?

 

Je n’étais pas une militante de l’égalité. Cette prise de conscience a commencé en 2006 quand j’ai été approchée par Annie Sorel qui souhaitait impulser la création d’un réseau de business au féminin. Petit à petit, j’ai été de plus en plus sensibilisée, je me suis informée et formée sur la question de l’égalité. En tant que consultante RH je me suis confrontée à des problématiques de recrutement et d’évolution. Raison pour laquelle je me suis investie davantage sur le sujet.

 

Votre expertise s’intègre tout au long du parcours des femmes, de l’enseignement supérieur à la vie professionnelle. Pourquoi avoir adopté cette vision élargie étude-travail ?

 

Pour faire avancer l’égalité professionnelle, il faut avoir une approche systémique. Certes, c’est un vaste chantier mais si l’on agit uniquement sur un seul levier (la féminisation des professions ou l’équilibre vie privée/travail), cela ne fonctionne pas. Cette vision élargie doit également considérer l’après-vie professionnelle. Les femmes ont des interruptions de carrière et une différence persistante de revenus dès leur embauche et ce, au fil de leur vie professionnelle. Par conséquent, la pension moyenne pour la retraite est inférieure chez les femmes (1 145 euros bruts contre 1 924 euros pour les hommes). Cela a aussi une incidence sur les inégalités de la santé. D’où la nécessité urgente d’agir sur la carrière des femmes.

 

Au fil des années, de nombreux métiers se féminisent. Pourtant, quelques secteurs n’arrivent pas à tendre vers la parité comme les métiers d’ingénieur. Comment expliquer cette faible féminisation dans cette filière ?

 

Une des racines du problème se trouve dans l’enseignement scientifique et dans des stéréotypes historiques et ancrés dans la société extrêmement tôt. Du coup, nous observons une désertion des filles en mathématiques. En 2021, 14% des élèves sont des filles dans la spécialité numérique et sciences informatiques et 13% dans la spécialité science de l’ingénieur. Il y a une autocensure des filles. On les place très tôt du côté des émotions, de l’empathie, de la communication. Ces normes culturelles ancrées malgré elles dans l’inconscient influencent leurs comportements. De ce fait, elles vont se diriger naturellement vers des métiers liés aux soin, à la communication… À l’inverse, les garçons, dits plus énergiques, sont canalisés avec des sports collectifs, leur permettant, par la suite, de développer certaines capacités, comme le repérage dans l’espace, et donc des compétences dans certaines matières (géométrie…). Du coup, les filles se voient comme moins compétentes en sciences exactes et choisissent peu ces options à des moments clés d’orientation.

 

C’est notamment la raison pour laquelle les écoles d’ingénieurs, même si elles se féminisent (la proportion d’étudiantes atteint 33%), se distinguent par une très grande disparité en matière de féminisation. Les filières proposées expliquent souvent que des écoles d’ingénieur·e en biologie ou chimie peuvent compter jusqu’à 80% de femmes, alors que les écoles spécialisées (construction / transport / logistique / matériaux / numérique, etc) peinent à atteindre les 20%.

 

De plus, depuis la mise en place de la réforme du lycée, les lycéennes choisissent de moins en moins les spécialités scientifiques. On peut s’attendre à une érosion des effectifs féminins en prépa scientifique dans les deux prochaines années. Ce manque de candidates ne répond donc pas aux besoins des entreprises.

 

Comment faire pour que l’égalité entre femmes et hommes progresse dans les choix d’orientation professionnels ?

 

Des actions sont mises en place dans les collèges et lycées. Mais force est de constaté que les chiffres n’évoluent pas. Il faut donc déconstruire les stéréotypes dès le plus jeune âge, par exemple, donner autant d’espace aux filles qu’aux garçons dans la cour d’école. La ville a aussi été pensée et construite pour des pratiques masculines. Du coup, les femmes peinent à trouver leur place au sein de l’espace public. Il faut donc aménager la ville pour que chacun y trouve sa place.

 

Des initiatives locales émargent pour changer le regard des jeunes femmes sur ces métiers. On peut citer, le challenge collaboratif « Industri’elles«  organisé par Nantes Université ou encore la bourse du campus ESEO à Angers. Avez-vous le sentiment que ces actions restent isolées ?

 

Les entreprises se mobilisent car elles ont conscience que la mixité est un facteur de performance économique et financière. Il y a une multiplicité d’actions notamment au sein des grands groupes (Vinci, Naval Group…) qui peinent à recruter et ont donc besoin d’élargir leurs viviers. Mais ces actions en silo nuisent à leur efficacité.

 

Vous êtes impliquée dans le dispositif NégoTraining. Quel serait votre conseil n°1 pour réussir sa négociation ?

 

Il faut oser demander ! Il faut savoir que les femmes ont moins tendance que les hommes à réclamer une augmentation de salaire car elles sont sujettes au syndrome de la bonne élève. Dans les faits, à la sortie des études, 2 femmes sur 10 négocient, contre 8 hommes sur 10. Ce qui aura une incidence tout au long de leur vie. Or, il ne faut pas oublier que l’entreprise est un monde compétitif. 

 

Quelle pourrait être une des mesures phares dans le domaine de l’égalité professionnelle ?

 

Il y a eu des avancées dans le domaine de la parentalité mais il y aurait un levier important sur les congés équitables entres les hommes et les femmes, sur le modèle scandinave, pour la dynamique des carrières. Parallèlement, il faudrait simplifier et fluidifier les systèmes de garde d’enfants. Avoir des enfants et une vie familiale ne doit plus être un problème dans la vie professionnelle.

 

 

Propos recueillis par Florence FALVY

 

Pour aller plus loin :

Alexandra Rieu “Pourquoi proposerais-je un poste à une femme que je n’accepterais pas moi-même ?” – lire l’interview

CHARIER veut féminiser les métiers de travaux publics – lire l’article

 

[La Fameuse Académie]


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