Publié le 19.07.21
Une carrière de footballeuse professionnelle, un doctorat en psychologie du sport obtenu en 2016, une autobiographie (« Pas pour les filles ? » – Robert Laffont, 2019)… Mélissa Plaza, 33 ans, semble avoir déjà eu plusieurs vies. C’est pourtant une survivante. Une écorchée, portée très haut par une colère qui n’a d’égale que sa rage de vivre, et qu’elle met au service de son engagement féministe. Les Fameuses l’ont rencontré pour évoquer son parcours et sa vision du sport au féminin.
Autrice et conférencière, Mélissa Plaza est aujourd’hui à l’orée d’un nouveau chapitre professionnel. Et pour cause. La rédaction de son premier livre a fait ressurgir un passé chaotique : dix ans d’inceste, enfouis jusqu’alors sous une épaisse couche d’amnésie traumatique. Elle porte désormais ses « souvenirs sur brancard », et ceux d’autres héroïnes anonymes sur le compte Instagram La taxe écarlate. C’est également le titre de son livre à paraître, dans lequel elle dissèque « sa » violence originelle, et un mantra : survivre, panser, retentir. Au cœur de cet entretien il y a donc une femme, plusieurs niveaux de lecture, d’expertise, mais une seule source de violences : la domination masculine. Ses conséquences sont multiples, mais son fonctionnement lui, est immuable.
Contexte
Il y a quelques semaines, Mélissa Plaza a remporté son procès en appel contre l’En avant Guingamp, après six années de procédure pour négligence suite à une blessure qui l’a privée de sa fin de carrière, et de potentielles compétitions avec l’équipe de France. Une victoire mais une amertume qui persiste, comme un stigmate de ces années d’émancipation salvatrice et de révolte permanente contre « l’un des derniers grands bastions de la misogynie ».
Une anecdote marquante de votre parcours de sportive qui illustrerait les écarts de traitement entre les joueurs et les joueuses professionnel·les ?
En 2011, j’évoluais à Montpellier. La communication du club a un jour sollicité quatre joueuses – les plus jolies, évidemment – pour disaient-ils, faire la promotion du club et des joueuses. J’ai accepté, mais ma naïveté s’est effritée dès les premières séances photos : on nous demandait d’enlever toujours plus de tissus ou de prendre des poses lascives et sexualisées. Petit à petit, j’ai compris que c’était nos corps qui les intéressaient, rien d’autre. Je me suis retrouvée à poser quasiment nue, de dos- totalement désincarnée – flanquée d’un slogan : « samedi soir, marquer à la culotte ! » pour une campagne qui n’avait pour but, en fait, que d’inciter les supporters à s’abonner au stade de la Mosson, celui dans lequel nous ne jouions quasiment jamais ! Cette publicité a été placardée partout dans ma faculté, là où j’ai soutenu ma thèse sur les stéréotypes de genre en milieu sportif… Ironique, n’est-ce pas ?
De quelle(s) manière(s) vos études ont-elles nourri votre engagement féministe dans le monde du sport ?
Cela m’a sans aucun doute aidé à prendre du recul et à analyser plus finement certaines situations. Surtout, cela m’a permis d’exister en dehors du terrain de football, tout en aiguisant mes convictions.
Cela fait 5 ans que vous avez quitté la compétition. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la place qu’occupent les femmes dans le sport, a fortiori dans le football ?
Commençons par ne plus parler de football, handball, rugby féminin ! Est-ce que les règles sont différentes ? Non. Y aurait-il un « vrai » et un « faux » football, un « vrai » et un « faux » handball ? Non plus. A mon sens, c’est une expression qui ne vise qu’à dévaloriser les joueuses, à les ostraciser, à les essentialiser. Entre les lignes, on peut lire « soit belle d’abord ». La communication, la teneur des commentaires : rien n’a changé, ou si anecdotiquement. C’est plus facile d’épingler le sexisme sur les réseaux, mais ça ne va pas plus loin.
Au-delà des sportives, se pose aussi la question des femmes dans les instances de gouvernance.
Elles se comptent sur les doigts d’une main, et on ne peut pas dire que celles qui sont en place soient de farouches féministes… Celles qui y parviennent, encore aujourd’hui, ont dû s’adapter pour se frayer un chemin. Elles ont intégré les hautes sphères, et la misogynie qui va avec. C’est d’ailleurs le gage de la promotion à laquelle ces messieurs veulent bien consentir. L’espoir réside dans la proportion : plus elles seront nombreuses, plus on a de chances de voir les choses évoluer dans le bon sens. Mais c’est un milieu si cloisonné, que ce qui évolue en dix ans dans le reste de la société prendra sûrement vingt ou trente ans à bouger dans le football. C’est pessimiste, mais réaliste ; et tant que les chiffres ne m’auront pas contredite, je ferais en sorte de maintenir la flamme allumée.
D’aucuns justifient l’invisibilité du sport féminin par le fait qu’il n’est pas rentable. Cela semble hypocrite, au vu du peu de moyens déployés.
On ne peut pas attendre de rentabilité sans investir au départ ! Sur la réalisation par exemple – par ce que je ne compte plus le nombre de fois où j’ai entendu des hommes dire « Le football féminin c’est lent ! » – le jeu a l’air lent ? Mais c’est parce que le dispositif de captation n’a rien à voir avec les moyens déployés sur les compétitions masculines ! On nous cantonne au low coast, rien d’étonnant à ce que les matchs des équipes joué par les femmes soient moins attrayants. Peut-être faudrait-il aussi penser la rentabilité différemment : en donnant une image et de la reconnaissance aux femmes pour ce qu’elles sont et pas pour ce qu’elles représentent. Je dis ça, je ne dis rien !
Les dernières grandes compétitions internationales de football, rugby et handball ont été diffusées sur les médias traditionnels. Est-ce que cela a fait bouger les lignes, ou bien est-ce un écran de fumée ?
Réponse numéro deux ! D’abord parce que cela ne résout en rien le manque de visibilité des femmes des autres disciplines. Mais surtout parce que c’est l’arbre qui cache la forêt des disparités quotidiennes : du matériel au rabais, récupéré parfois chez les hommes quand ils n’en veulent plus, des déplacements en bus quand les hommes prennent l’avion, être privées de stade quand l’équipe masculine en a besoin, mais jamais l’inverse… En 2020 pendant la crise sanitaire, comble du mépris, seule la D1 a été autorisée à jouer ! Ils n’en n’ont rien n’a secouer, vraiment ! Les joueuses sont une variable d’ajustement.
Roxana Maracineanu (la ministre des sports – ndlr) a fait de la parité dans le sport une priorité, dans un pays ou près de 70% des affilié·es des clubs sont des hommes. En Belgique, son homologue Valérie Glatigny a proposé d’ouvrir des crèches au sein des clubs, pour que la parentalité ne soit plus un facteur empêchant. Que pensez-vous de tout ça ?
C’est un bel objectif, et une proposition qui a le mérite d’exister, mais il faut prendre le problème à la racine. Ce qui nuit à la société et à plus forte raison au sport, ce sont les stéréotypes de genre. Pour abolir les écarts de représentation, de visibilité et de traitement entre les hommes et les femmes dans ce domaine, il faut abolir la notion même de genre et réfléchir uniquement en termes de liberté et de champ des possibles. Le reste, c’est du palliatif.
Propos recueillis par Agathe Petit
Pour aller plus loin :
Une plateforme régionale pour dénoncer les abus sexuels dans le sport
Appel à projets : les sportives à l’honneur
Alicia Milliat donne son nom à la Maison des Sports
Photo : Mélissa Plaza – crédit Piergab