Publié le 21.09.21

A 51 ans, l’ex-Nantaise Carine Rolland a pris la tête de Médecins du monde, une ONG médicale internationale présente dans 29 pays et une quinzaine de villes en France (500 salariés de droit français, 1 500 à l’international et autant de bénévoles). L’occasion de parler avec « la toubib des migrants » de son engagement auprès des exilé·es, mais aussi des inégalités de santé liée au genre ou encore de la situation des femmes à travers le monde. Entretien…
Quel a été votre parcours ?
J’ai grandi à Auray (Morbihan) avant de faire mes études à Rennes et Paris pour devenir médecin généraliste. Suite à ma thèse en 2000, j’ai passé 15 ans à effectuer des remplacements, notamment en Seine-Saint-Denis, avant de m’installer à Nantes en 2003. Mon engagement auprès des exilé·es a toujours été, notamment à Nantes, une ville très solidaire. Dans mon cabinet de quartier, je recevais en consultation des personnes très précaires (personnes à la rue, exilé·es…).
En juin dernier, vous avez été élue présidente de Médecins du monde pour un mandat de trois ans… A quand remonte votre engagement au sein de l’ONG ?
Depuis 2009. D’abord bénévole dans la délégation nantaise, j’ai créé un programme pour l’accès aux droits et aux soins des mineurs non accompagnés, avant de devenir rapidement responsable de missions. J’ai été cadre bénévole responsable de groupes (migration…) puis je suis entrée, en 2019, au conseil d’administration, également membre du bureau.
Vous êtes passée de médecin généraliste à présidente de l’association Médecins du monde… Vos premières impressions ?
C’est une autre marche à franchir ! Il y a un réel changement de rythme et de niveau de décisions. J’étais préparée mais les 10 premiers jours ont été étonnants à vivre, presque violents. Il a fallu de plus gérer la fermeture de mon cabinet.
Quelles ambitions entendez-vous porter ?
Je ne veux pas m’inscrire dans une logique de rupture mais incarner une continuité (ndlr, découvrez le combat féministe de Médecins du Monde). En 2021, il y a plusieurs enjeux centraux : climatique, logique d’effondrement par effet domino, de genre…
Votre nomination est aussi l’occasion de parler de l’égalité FH sur le plan professionnel. Vous êtes la troisième femme – après Françoise Sivignon – à occuper ce poste depuis la fondation de l’association, en 1980. On peut s’étonner de cette sous-représentation des femmes à la tête de l’ONG…
Je suis la 16e présidente et 3e femme. Aucune structure n’est à l’abri des logiques patriarcales mais les lignes bougent. L’ONG compte d’ailleurs 65% de femmes parmi ses salarié·es de droit français ainsi que 4 directrices (sur 7). Parmi les cadres, 68% sont des femmes. C’est un combat du quotidien. Ce n’est pas une question de parité mais de postures qui sont très ancrées de façon non conscientisée.
Parlons à présent des inégalités de santé liées au genre… Sont-elles encore une réalité en France et à travers le monde ?
Bien sûr ! Parce qu’elles sont femmes, elles sont précaires. Et la précarité impacte la santé des personnes. Quelques chiffres… Dans le monde, deux tiers des adultes analphabètes sont des femmes. Plus de 40% vivent dans un pays où l’IVG n’est pas légale, une femme meurt toutes les 9 minutes d’un avortement clandestin. En 2020, 13,5 % des femmes rencontrées dans nos centres d’accueil, de soin et d’orientation vivent seules avec un ou plusieurs enfants à charge contre 2% d’hommes.
Seules 10,2 % d’entre elles ont déclaré avoir eu une activité rémunérée contre 20,3 % chez les hommes, elles ne savent pas écrire et lire… 40% des femmes enceintes reçues dans nos centres ont un retard de suivi de grossesse, 82% n’ont jamais réalisé de dépistage du cancer du col de l’utérus, 88% n’ont aucune contraception….
Et la crise sanitaire a accentué les inégalités d’accès aux soins des populations en situation de grande vulnérabilité et plus encore pour les femmes.

Le gouvernement vient d’annoncer la contraception gratuite pour les femmes de moins de 25 ans à partir de janvier 2022. C’est un pas en avant ?
Nous saluons cette avancée en termes de droit que nous réclamions depuis longtemps. Mais elle va toucher tout le monde sauf les étrangères précaires qui sont dans les angles morts des politiques publiques de santé. Pour lutter contre ces inégalités,il faudrait une prise de conscience et une réelle volonté et donc des moyens et ce, de façon urgente.
Parlons à présent des femmes à travers le monde… Les Afghanes sont directement touchées par les événements récents. Les barrières d’accès aux soins sont-elles nombreuses dans le pays, notamment pour elles ?
Oui les difficultés pour l’accès aux soins sont majeures en Afghanistan comme dans de nombreux pays (Palestine, Yémen, Burkina Faso, Liban…). Les structures de santé ne sont pas suffisantes et les femmes sont les premières victimes des conflits. Avec l’arrivée des talibans au pouvoir, nous craignons des entraves encore plus fortes. Nous sommes également inquiets pour les femmes militantes engagées.
A ce propos, des Afghanes sont descendues dans les rues de Kaboul pour défendre leurs droits. Quel regard portez-vous sur ces mouvements de contestation ?
Ces femmes sont courageuses, mobilisées, organisées… C’est vrai en Afghanistan comme ailleurs (Amérique latine, Birmanie…). La société civile se mobilise pour réclamer des avancées dans leurs droits… pour plus d’égalité sociale.
Croyez-vous à la prise de pouvoir des femmes dans le monde ?
Je n’aime pas ce mot « pouvoir ». Je crois qu’une société plus juste, égalitaire, respectueuse de l’humain et du vivant, incarnée par des femmes, va émerger.
Revenons à Nantes… Quid des migrations et des femmes exilées ?
Globalement, pour ces femmes le constat est dramatique. Épuisées psychiquement et physiquement, elles ont subi des violences liées au genre dans leur parcours et souffrent de graves psycho traumatismes. Nous devrions les traiter avec dignité. Or, il y a un cynisme de la part des états européens absolument épouvantable !
A Nantes, nous avions estimé entre 1 000 et 3 000 personnes exilées en situation précaire il y a 1 à 2 ans. Depuis, les lignes ont bougé, certes pas assez vite, avec une grande mobilisation de la société civile et des collectivités qui ont pris conscience du problème (1% logement voté à l’échelle de la métropole…). Une volonté qui se heurte à cette politique de non-accueil pratiqué par l’État français. Par ailleurs, les expulsions permanentes ne facilitent pas notre travail de terrain qui est d’assurer un suivi.
Le mot de la fin ?
Soyons utopistes ! Il faut construire un autre vivre ensemble.
Propos recueillis par Florence FALVY
Pour aller plus loin
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