Publié le 22.09.22

Violaine Lucas“… c’est-à-dire se battre pour que les femmes puissent être émancipées, autonomes économiquement, à l’abri des violences et libres de choisir de donner la vie. Défendre cette vision pour toutes les femmes européennes ou qui migrent dans l’UE”.

Ce sont les mots de Violaine Lucas, présidente de Choisir la cause des femmes, association fondée par Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir. Cette Nazairienne met en parallèle les reculs sur le droit d’accès à l’IVG aux Etats-Unis et ceux qui existent en Europe. Elle insiste sur la nécessité des coopérations transnationales et notamment en Europe où son combat pour la Clause de l’Européenne la plus favorisée permet un alignement par le haut des droits des femmes dans l’Union européenne. Entretien.

Une présentation de votre parcours en quelques mots ? 

Je suis née et je travaille à Saint-Nazaire. Mes études de lettres m’ont amené à devenir professeure de français au lycée Aristide Briand. C’est dans ce cadre que j’ai rencontré Gisèle Halimi (ndlr : célèbre avocate, militante féministe et femme politique), venue pour parler de l’IVG auprès d’étudiant·es. C’était en 2003. J’ai tout de suite adhéré à son association Choisir la cause des femmes. Je connaissais l’engagement de Gisèle Halimi, pour les droits des femmes et pour l’anti-colonialisme en Algérie. Sa proximité avec les grand·es intellectuel·les Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre ou des poètes comme Louis Aragon, avait une vraie résonance pour moi. A partir de 2005, nous avons travaillé ensemble sur un projet de droit comparé : la clause de l’Européenne la plus favorisée. Ce travail sur les Droits des femmes en Europe a été publié en 2008. Cela m’a poussé à passer un Master de droit pénal obtenu en 2015. En 2020, après le décès de Gisèle Halimi, j’ai pris la présidence de Choisir la cause des femmes.

Choisir la cause des femmes est une association qui a largement contribué au droit d’accès à l’IVG en France et sur d’autres droits majeurs pour les femmes…

Choisir la cause des femmes est né en 1971 au moment du manifeste des 343 où des femmes inconnues ou non -comme Gisèle Halimi, Delphine Seyrig ou Simone de Beauvoir déclaraient s’être fait avorter. Ces femmes s’exposaient à des poursuites pénales pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement. La Ioi Veil sur la dépénalisation de l’avortement en France en 1975 est née des combats des ces femmes. A l’époque Choisir la cause des femmes avait vocation à protéger et défendre les signataires du manifeste. Pour Gisèle Halimi, la pénalisation était d’abord une Ioi de classe, c’est-à-dire une Ioi qui touchait les plus pauvres. Le procès de Marie-Claire Chevalier a été un virage pour les droits d’accès à l’IVG et la médiatisation de ce sujet de société. Par la suite, Choisir la cause des femmes a fait avancer le droit : en criminalisant le viol, en dépénalisant l’homosexualité et en bataillant pour la Ioi sur la parité et puis sur la clause de l’Européenne la plus favorisée.

Comment réagissez-vous à l’abrogation de l’IVG aux Etats-Unis ? Quelles répercussions cela peut-il avoir en France et en Europe ? 

Je pense que le président Obama aurait dû s’engager davantage en constitutionnalisant le droit de choisir de donner la vie. Il faut une garantie puissante pour permettre cette liberté fondamentale. Car la question n’est pas simplement le droit à l’avortement, elle est plus globale : c’est la liberté de choisir de mettre ou non au monde des enfants. C’est ce qui existe en Slovénie et c’est cela qu’il faudrait défendre au niveau européen.

Je ne sais pas quelles répercussions il y aura en Europe. Cependant cela donne de la puissance aux adversaires du libre choix qui en Europe, comme en Pologne, ont réussi à interdire l’avortement au péril de la vie des femmes. Cette actualité comme la guerre en Ukraine doit nous interroger sur ce qu’il se passe en Europe : des femmes violées en Ukraine n’ont pas toujours pu trouver en Pologne d’accès à une IVG libre et gratuite car l’État s’y oppose. D’où la nécessité de recréer du lien entre citoyen·nes européen·nes et d’activer des coopérations entre citoyen·nes et associations pour résister. On ne peut lutter qu’à condition d’une entraide solide.

C’est justement le but du projet de la clause de l’Européenne la plus favorisée ? 

Tout à fait. Le principe de ce rapport de droit comparé est de couvrir 5 domaines de la vie des femmes : choisir de donner la vie, le droit de la famille, les violences faites aux femmes, la politique et le travail. L’objectif est de prendre les meilleures lois appliquées dans l’UE pour en faire un ensemble législatif, un bouquet législatif comme disait Gisèle Halimi. Par exemple, dans le rapport publié en 2008, on disait que les meilleures lois pour lutter contre les violences faites aux femmes étaient espagnoles. On voit comment ces lois espagnoles sont toujours en avance. En 2008, il y a eu la convention d’Istanbul, plus ou moins bien appliquée dans les pays, certains refusant toujours de la ratifier. En même temps, il y a des reculs importants dans certains pays, comme en Croatie où l’affaire Mirela Cavajda a fait grand bruit (ndlr : une femme qui a mené une difficile bataille pour obtenir l’autorisation d’avorter, en raison de la maladie de son fœtus) ou la Hongrie où une nouvelle Ioi impose de faire écouter le cœur des fœtus aux femmes qui veulent avorter. 

Nous avons donc décidé à Choisir la cause des femmes de mettre à jour le rapport de la clause de l’Européenne la plus favorisée grâce à un tour européen débuté cet été. L’objectif est de produire en fin d’année 2022, une analyse comparée mise à jour. Puis nous organiserons un colloque européen pour peser à nouveau dans les débats notamment à la veille des élections européennes. Nous nous battons pour le meilleur de I’Europe pour les femmes, c’est à dire une vision pour une femme émancipée, autonome économiquement, à l’abri des violences et libre de choisir de donner la vie pour toutes les femmes européennes ou qui migrent dans l’UE.


En quoi consistait ce tour européen ?

Pendant 5 semaines nous sommes allées dans 13 pays en Europe centrale et orientale. Nous ressortons avec des déclarations très fortes de militantes de terrain. Nous avons constaté un recul net sur le droit de choisir de donner la vie, notamment sous prétexte de défense de la vie et de raisons religieuses. Beaucoup de ces réseaux réactionnaires sont soutenus par des milliardaires également LGBTQlAphobes et climato-sceptiques. Les rapports du Forum parlementaire européen pour les droits sexuels et reproductifs le montrent bien.

Heureusement, la rencontre avec des femmes militantes de ces 13 pays procure une énergie incroyable. Leur militantisme est incroyable. D’autres pays sont très avancés. Par exemple, en Suède, nous avons visité un centre contre les violences faites aux femmes où les prospectus d’informations et de sensibilisation pour aider les femmes victimes de violences étaient traduits en 33 langues !

Votre analyse sur la non panthéonisation de Gisèle Halimi. Pourquoi le sujet semble toujours tabou ? 

Rendez-vous compte, il n’y a même pas eu d’hommage national. C’est une profonde injustice au regard de son combat et des droits pour lesquels elle a milité. La panthéonisation a été soutenue par une pétition regroupant des dizaines de milliers de signatures mais la personnalité de Gisèle Halimi est très loin de faire consensus, notamment en raison de ses engagements anticoloniaux et en faveur de l’Algérie. C’est fou ! Peut-être que le voyage récent d’Emmanuel Macron en Algérie pourrait changer des choses. Mais admettre ce passé colonialiste est encore impossible : c’est sans doute aussi ce tribut que paie Gisèle Halimi. Pourtant sa panthéonisation serait une excellente chose pour les nouvelles générations de femmes et notamment issues de l’immigration auprès desquelles Gisèle Halimi est un modèle.

Un dernier mot sur les Assises nationales contre les violences sexistes qui auront lieu à Nantes en novembre prochain. Choisir la cause des femmes est invité à prendre la parole… 

Lors de ces Assises, nous interviendrons sur la dimension européenne, autour des violences basées sur le genre, qui est le terme privilégié par la convention d’Istanbul. L’idée est de montrer quel est le droit et comment cela se passe dans les pays européens aux échelons territoriaux, dans la continuité de notre mise à jour de la Clause de l’européenne la plus favorisée.

Propos recueillis par Adrien Cornelissen


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