Publié le 15.10.21

 

Portrait de Sandrine Mansour

 

Accès au droit à l’IVG, lobbying antichoix au Texas ou en France, gratuité des contraceptifs pour les moins de 25 ans, missions du Planning Familial…. Les Fameuses ont rencontré Sandrine Mansour, directrice du Planning familial de Loire Atlantique et co-coordinatrice régionale, pour un échange autour de l’égalité FH. Cette femme engagée sur son territoire – que vous pourrez retrouver au programme de la saison #3 du Printemps des Fameuses le 22 octobre 2021 (inscription en ligne) – revient sur son combat. Celui des droits humains. Entretien…

 

 

Quelques mots sur votre parcours…

Mon parcours est atypique, comme l’est souvent celui des femmes. D’origine palestinienne, j’ai connu l’exil avec les contraintes et les inégalités que cela comprend. J’ai une formation d’historienne avec une spécialité sur la Palestine et quelques publications sur les mouvements de femmes du Levant (ndlr : Syrie, Liban, Palestine…) qui ont combattu pour l’autodétermination de leurs pays et pour le droit des femmes. Il y a deux ans j’ai été nommée directrice du Planning familial de Loire Atlantique et co-coordinatrice régionale (ndlr : avec les directrices du Mans et d’Angers). Le lien entre mon expérience passée et mon activité au Planning familial ? Dans les deux cas je lutte pour les droits humains et j’ai la possibilité d’agir pour les femmes qui sont les premières victimes des discriminations.

 

« Je lutte pour les droits humains et j’ai la possibilité d’agir pour les femmes qui sont les premières victimes des discriminations. »

 

En tant que directrice du planning familial en Loire Atlantique et co-coordinatrice régionale, en quoi consiste votre métier ?

 

Tout d’abord, contextualisons un peu les choses. 72 associations départementales du Planning Familial sont réparties sur le territoire français. En Loire Atlantique, l’association est née en 1964 et comporte douze salariées sur Nantes et Saint-Nazaire. Nous avons deux pôles principaux : un centre de planification avec des médecins, gynécologues, sages-femmes et des conseillères conjugales et familiales, et un établissement qui met en œuvre des animations et des formations sur la vie affective et sexuelle. On y parle de sujets variés : égalité femme/homme, violences, consentement, sexualité, contraceptions… Mon métier consiste à coordonner les équipes qui font un travail indispensable et qu’elles puissent agir dans les meilleures conditions. Mon rôle est aussi de faire le lien avec les institutions publiques – l’Etat, l’Agence régionale de santé, le Conseil régional et le Conseil départemental – et de faire du plaidoyer local.

 

 

les locaux du Planning familial de Nantes
crédit Planning familial Loire-Atlantique

Quel·les usager·es viennent au Planning familial ?

 

Les territoires des Pays de la Loire sont différents et les antennes au Mans, à Angers ou la Roche-sur-Yon n’accueillent pas les mêmes populations. A Nantes, il y a une mixité des usager·es, avec une majorité de jeunes et de mineur·es, des personnes exilées également. En Mayenne, c’est davantage un territoire rural, avec une certaine omerta. Pour beaucoup de sujets la parole est sans doute moins libérée, notamment en ce qui concerne la contraception. En fonction de ses réalités de terrain, les actions sont localisées. Par exemple, le Planning familial intervient dans des établissements scolaires sur des sujets comme la précarité menstruelle ou l’éducation à la sexualité. N’oublions pas que les enfants voient leur premier film porno à 9 ans. Des actions de ce type sont donc indispensables.

 

Quelle est aujourd’hui la fréquentation des hommes au Planning familial ?

 

Il y a de plus en plus d’hommes qui y viennent. Les mentalités changent et beaucoup ont le sens des responsabilités. Ils considèrent que les femmes ne doivent pas porter à elles seules la charge de la contraception. Certains viennent et posent des questions sur les solutions possibles en matière de contraception masculine. D’autres hommes accompagnent également des femmes qui viennent pour des entretiens sur l’IVG.

 

Un mot sur les personnes LBTQI+. Quelles aides peuvent-elles trouver au Planning familial ?

 

On travaille à instaurer une dynamique d’accompagnement et de sensibilisation des discriminations envers les LBTQI+ (ndlr : Lesbienne, gay, bisexuel, transgenre, queer et intersexe…). On est sur une logique d’information, d’écoute et également de redirection vers des structures compétentes. La base de tout c’est le non jugement et la prise en considération de toutes les réalités humaines.

 

La journée mondial du droit à l’avortement s’est déroulée le 28 septembre dernier… Quelle est votre analyse sur les progrès ou non de l’accès à l’IVG à travers le monde ?

 

Le droit à l’avortement est encore un sujet difficile dans beaucoup de régions du monde : en Afrique, en Asie ou en Amérique du Sud. Les luttes sont continuelles. Mais les pays dits “riches” ne sont pas en reste. En Europe, même si l’Irlande ou Saint-Marin ont récemment légalisé la pratique, il y a une régression évidente en Pologne. Idem aux Etats-Unis où il y a un vrai lobbying antichoix. Ce qui est rageant c’est que la question de l’avortement au niveau politique est décidée majoritairement par les hommes. Rappelez-vous lors du débat au Sénat pour le passage du délai d’avortement de 12 à 14 semaines : il y avait une majorité d’hommes. Quelle hypocrisie quand on sait que beaucoup de femmes se retrouvent en délai dépassé et partent à l’étranger pour se faire avorter.

 

« Ce qui est rageant c’est que la question de l’avortement au niveau politique est décidée majoritairement par les hommes. »

 

Vous parliez d’un lobbying antichoix aux Etats-Unis. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’il en est ?

 

Le Texas est un État riche et puissant où les castes religieuses sont enracinées dans l’économie et les médias. Les évangélistes ont une emprise très forte sur ces sujets considérés comme des questions morales. C’est un lobbying internationalement organisé qui envoie des fonds d’argent dans le monde entier, en Amérique du Sud, en Afrique, en Europe… La bataille se joue constamment. Les faux sites du type ivg.net, pourtant interdits, brouillent les cartes pour les femmes souhaitant de l’aide et des conseils. Ces lobbying surfent également sur des tendances sociales, par exemple ils utilisent l’argument vegan pour convaincre de ne pas prendre de solutions médicamenteuses. Si c’est un choix éclairé c’est très bien, mais on a vu des femmes venir dans nos centres et tenir un discours confus qui montrait que rien n’était clair pour elles. Les évangélistes ne sont pas les seuls antichoix, je recommande le visionnage du documentaire “Avortement, les croisés contre-attaquent” et qui montre comment le lobby anti-avortement, anti-choix et anti droit des femmes opère au sein du parlement européen avec une façade a priori tout à fait correcte.

 

 

 

En mai 2021, le Planning familial de Nantes a été vandalisé. C’est un fait qui montre que la lutte est quotidienne…

devanture du Planning familial 44
crédit Planning familial Loire-Atlantique

 

Le 21 mai dernier, l’antenne de Nantes a été attaquée par des antichoix. Il y avait sur la vitrine 46 autocollants, savamment collés et recouvrant les informations importantes (3919, horaires d’ouverture etc…). Ces autocollants imitaient notre charte graphique. Depuis 4 autres Planning familial ont subi ces mêmes attaques (ndlr : dont 1 ce mois-ci à Blois). Cela signifie qu’il y a une organisation, a minima nationale et qui planifie ces actions.

 

Vous parliez des sphères d’influences anti-IVG dans les instances de pouvoir. C’est aussi le cas dans le domaine de la santé. Prenons le cas de la clause de conscience qui permet aux médecins de choisir de pratiquer ou non des IVG.

 

Le Planning familial appelle à la suppression de la clause de conscience en France. Normalement cette clause oblige le médecin à orienter la patiente vers un·e confrère·soeur mais la réalité est tout autre. Nous, on a des témoignages et on remonte des données chiffrées pour donner du poids au plaidoyer. Au Planning familial de Loire Atlantique nous avions connaissance de deux médecins qui refusaient de prescrire la contraception. L’ordre des médecins en a été informé sans qu’il y ait de mesure prise.

 

Le gouvernement a annoncé un plan visant à la gratuité des contraceptifs pour les femmes de moins de 25 ans. Une mesure en demi-teinte pour certain·es… Qu’en pensez-vous ?

 

C’est une bonne chose que cela soit pris en considération même si certains pays du monde comme l’Ecosse sont allés beaucoup plus loin sur la question. Néanmoins je mets un bémol. Toutes les contraceptions ne sont pas prises en charge, comme les préservatifs féminins. Seuls les préservatifs masculins sont prescrits, et seulement deux marques peuvent être remboursées. Les pilules 3e et 4e génération qui ont moins d’effets secondaires ne le sont pas non plus. Et puis les personnes les plus concernées ne vont déjà pas chez le médecin et échappent donc à ces mesures.

À côté de ça, le Planning Familial s’est vu retirer les dotations gratuites de préservatif par les Agences régionales de santé. Il y a un manque de logique. Le constat est qu’aujourd’hui on a quasiment plus de préservatif à donner. On devra trouver nous-même des financements (ndlr : vous avez la possibilité de faire un don au Planning familial).

 

En Loire-Atlantique on a l’impression que les acteur·rices – collectivités publiques, associations, entreprises etc – agissent dans le même sens pour faire progresser l’égalité FH. Diriez-vous que c’est un territoire exemplaire ? 

 

Il faut avouer que la dynamique de territoire est très intéressante. Les associations sont nombreuses et accompagnées par les pouvoirs politiques. La variété des acteur·rices est une richesse. Très peu de territoires français ont cette capacité à les mettre autour de la table et les faire discuter.

 

« Très peu de territoires français ont cette capacité à mettre les acteur·rices autour de la table et les faire discuter. »

 

opération de sensibilisation dans les collèges
Une collégienne découvre le kit – Crédit : Paul Pascal/Département de Loire-Atlantique

Le Planning familial a la chance de pouvoir travailler étroitement avec d’autres structures. Sur la précarité menstruelle, le Planning familial a été partenaire de l’action du Consel Départemental pour sensibiliser les collégien·nes aux tabous des règles. Autre exemple, en 2014 le CIDFF, Solidarité Femmes et le Planning familial ont porté un projet au niveau régional, avec des sessions de prévention des violences sexistes et sexuelles auprès des jeunes en formation dans les métiers du soin (aides soignants, IFPO, MFR, etc). Depuis, on intervient tous les ans dans ces établissements. L’Etat a inscrit au programme de formation ces sessions de prévention depuis cette année, ce qui montre que ces actions ont une vraie portée nationale.

 

Si vous deviez maintenant interpeller les responsables politiques, que diriez-vous ?

 

Pendant longtemps, l’égalité entre les femmes et les hommes était considérée comme un simple fait social. Toutes ces questions d’égalité doivent être traitées à un niveau politique. Mon message invite les responsables politiques à continuer leur soutien aux associations et surtout – au-delà de toute question financière – qu’ils·elles assument une vision politique. Ce qu’on fait au quotidien, au Planning familial ou ailleurs, est vital pour le territoire, nous avons besoin d’une vision partagée.

 

Propos recueillis par Adrien Cornelissen


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Pour revoir certaines interventions vidéos du Printemps des Fameuses

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Anne Bouillon : Au nom de l’amour ? L’inaudible excuse des violences conjugales