Publié le 25.11.21

 

Les Fameuses ont rencontré Anne Le Meur, directrice/coordinatrice à la Fédération régionale des CIDFF – Centres d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles – des Pays de la Loire. A l’occasion de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, célébrée le 25 novembre, cette fameuse investie pour les droits des femmes explique les différentes formes de violences faites aux femmes, sa vision du décloisonnement des mécanismes de violences commises dans la sphère privée et professionnelle et les effets néfastes de ces violences dans les entreprises.

 

Avant de commencer, quelques mots sur votre parcours…

J’ai toujours été sensible à la question de l’égalité entre les femmes et les hommes et les notions d’injustices qui y sont liées. Mon parcours de formation en droit s’est construit sur l’idée d’agir pour l’égalité. Ensuite je me suis spécialisée dans l’aménagement local. Intégrer les CIDFF (ndlr : une présentation des CIDFF est à retrouver à la fin de l’interview) était une opportunité de croiser mes compétences professionnelles et mes convictions personnelles. On dit parfois qu’on arrive par hasard dans les réseaux qui travaillent sur la question des droits des femmes. En tout cas, on n’y reste pas par hasard.

 

Pouvez-vous rappeler quelles sont les différentes formes de violences faites aux femmes ?

Les violences peuvent être des actes, des propos ou des comportements exercés par une personne (l’auteur) sur une autre personne (la victime) dans le but d’assurer contrôle et domination. Ces violences difficilement détectables peuvent prendre différentes formes :  Elles peuvent être physiques, psychologiques, verbales, sexuelles, économiques et administratives. Un certain nombre de signes peuvent alerter et permettre de repérer une victime de violences. Des marques physiques bien sûr mais pas seulement ; d’autres indices peuvent être repérés comme la peur, le sentiment de honte, le fait de ne pas parler, le changement de comportements (pleurs, perte de confiance, retrait de la vie sociale et amicale…), voire des conduites addictives (alcool par exemple…).

 

« Ces violences difficilement détectables peuvent prendre différentes formes :  Elles peuvent être physiques, psychologiques, verbales, sexuelles, économiques et administratives. Un certain nombre de signes peuvent alerter et permettre de repérer une victime de violences. »

 

Ces violences vécues peuvent, on s’en doute, provoquer en cas de stress aigu, un choc psychologique important et non pris en charge, qui peut persister sur plusieurs semaines voire des mois. On parle alors de stress post-traumatique (troubles psychologiques, somatiques, comportementaux). La compréhension de ce traumatisme et de ses conséquences est essentielle pour la prise en charge de la victime.

 


Le 25 novembre prochain, c’est la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes… Pour certain·es, le Grenelle de 2019 a eu très peu d’impact par exemple. Quelle est votre opinion côté CIDFF ?

Le Grenelle de 2019 a eu le mérite de faire un focus médiatique sur les violences conjugales mais surtout c’est la conjugaison de cet événement avec les affaires de féminicide – comme l’affaire Mérignac – qui ont bousculé le public en général et les pouvoirs publics en particulier.  Notamment la mise en évidence du manque de coordination entre les acteur·rices dans la prise en charge des victimes. De ce côté-là, il y a eu des  progrès intéressants : des mesures importantes comme le dispositif de mise à l’abri, le suivi des auteurs des violences, la coordination accrue des acteurs locaux. En Pays de la Loire, cette dernière mesure s’est traduite par des sensibilisations sur les violences sexistes auprès des acteurs et actrices locaux à raison de deux territoires par département. Pour travailler ensemble et renforcer l’accompagnement des femmes victimes en milieu rural, il est important que les élus, les gendarmes ou les travailleurs sociaux puissent partager une culture commune sur ces sujets.

 

On a souvent tendance à dissocier les violences subies dans le domaine privé et celles subies dans le domaine professionnel. Or ces violences conjugales et intrafamiliales impactent le monde du travail (et vice versa)… Quel est votre constat ? 

Campagne de communication des CIDFF contre les violences faites aux femmes

Sur l’ensemble des femmes victimes de violences au sein du couple, 52% sont salariées C‘est dire l’importance de prendre en compte les violences conjugales au sein de la sphère professionnelle. Les violences commises dans la sphère privée ont des conséquences au sein de l’entreprise. On peut rappeler les impacts des violences au sein du couple sur la salariée victime : difficultés du maintien dans l’emploi et des conséquences sur l’emploi comme absentéisme, retards, perte de production, perte de confiance, isolement vis-à-vis des collègues … mais aussi éventuelle intrusion du conjoint sur le lieu de travail. Autant d’obstacles à l’épanouissement et au travail qui doit être pourtant un lieu de protection.

 

« On peut rappeler les impacts des violences au sein du couple sur la salariée victime : difficultés du maintien dans l’emploi et des conséquences sur l’emploi comme absentéisme, retards, perte de production, perte de confiance isolement vis-à-vis des collègues… »

 

Les violences privées, on peut en parler au travail. Aujourd’hui, les sphères privées et professionnelles sont moins cloisonnées et permettent la libération de la parole des victimes, même si la marge de progrès est encore importante. Par exemple seules 30% des victimes en parlent à un·e collègue.


Quelles sont les responsabilités et les obligations légales des employeur·euses sur ce point ?

Les CIDFF luttent aussi contre les agissements sexistes au travail

D’abord il existe une obligation réglementaire. Les employeur·euses quelle que soit la taille ou le secteur d’activité professionnelle doivent prévenir et traiter des violences sexistes et sexuelles au travail. Sensibiliser aux violences sexuelles et sexistes au travail au sein des entreprises nous amène à évoquer les violences conjugales. En effet les violences faites aux femmes s’inscrivent dans un continuum des violences c’est-à-dire dans un système de phénomènes liés les uns aux autres… qui va du « sexisme ordinaire » aux actes les plus graves. Une même agression peut commencer par du harcèlement sexiste et se poursuivre par des violences sexuelles.

 

Par ailleurs et de façon générale, l’employeur se doit de veiller à la sécurité et la santé de l’ensemble de ses salariés. Dans ce cadre, les violences au sein du couple peuvent être prises en compte. Autre point, il est obligatoire dans toute entreprise de plus de 11 salariés de nommer au sein du CSE (comité social et économique, un·e référent·e « harcèlement sexuel et agissements sexistes ». Cette obligation est doublée de la nomination par l’employeur d’un·e référent·e dans les entreprises de plus de 250 salarié·es. Ce·tte référent·e peut être également identifiée pour accueillir les victimes de toutes violences sexistes et pas seulement au travail. Dès lors qu’elle est formée sur la question.


Pour que ce dispositif soit efficace, il faudrait que ces sujets soient portés par les plus hautes instances dans les entreprises. Est-ce le cas aujourd’hui ?

En effet, l’efficacité de ce dispositif dépend de la prise en compte d’une politique globale par l’entreprise et ses responsables sur la question de la prévention et lutte contre toutes les violences sexistes et sexuelles. Pour ce faire, trois niveaux d’action peuvent être articulés : information/communication, sensibilisation /formation, traitement/accompagnement des victimes et témoins. Il faut mobiliser l’ensemble des acteur·rices clés : l’employeur·euse, les managers, les ressources humaines mais aussi la médecine du travail et service social, les membres CSE, les représentants du personnels, etc…

 

Aujourd’hui, plusieurs entreprises se sont engagées dans cette démarche et notamment en Pays de la Loire. Ce sont des signes qui montrent que les choses bougent. Certaines inscrivent ce dispositif dans leur démarche RSE et QVT (ndlr : Qualité de vie au travail) voire dans leur DUERP (ndlr : Document unique d’évaluation des risques professionnels). L’entreprise a donc un rôle à jouer c’est évident. Il n’y a pas forcément de mode d’emploi mais il convient de permettre la libération de la parole dans un cadre sécurisé sans jugement, sans faire à la place de la victime puis d’orienter vers les associations spécialisées locales dans l’accompagnement des femmes victimes de violences tels que les CIDFF, Solidarités Femmes, Planning Familial.

 

Comment convaincre les parties-prenantes d’une entreprise de la nécessité de saisir ce sujet ?

Par la communication et la sensibilisation de toutes et tous et par la formation des managers : montrer l’ampleur du phénomène et ses impacts sur le travail. Il faut situer ces violences aux yeux de la loi. C’est le premier pas pour la restauration d’une vraie reconnaissance du droit des personnes. Une fois qu’on a rappelé la loi on ne peut plus dire “c’est une histoire d’opinion”. On ne pas dire “c’est votre ressenti”. Je rappelle que seulement 41% des travailleur·euses considèrent que les violences sexistes sont inacceptables au travail.

 

Il faut convaincre. Je l’avais déjà souligné auparavant, les violences faites aux femmes ont des effets sur la vie de l’entreprise et donc sur la performance économique : dégradation des relations de travail, perte de production, perte de compétences, gestion des absences et arrêts de travail à répétition, risques sur la sécurité et la santé… On s’aperçoit quand la parole est libérée en amont et que l’entreprise joue son rôle de protection, des situations graves peuvent être évitées. Notez tout de même qu’une femme sur 3 est victime de violence sur son parcours professionnel et que 9% des Françaises ont déjà eu un rapport forcé ou non désiré avec quelqu’un de leur milieu professionnel.

 

« Une femme sur 3 est victime de violence sur son parcours professionnel et 9% des Françaises ont déjà eu un rapport forcé ou non désiré avec quelqu’un de leur milieu professionnel. »

Un dernier mot sur les coopérations entre les acteur·rices du territoire, notamment dans les Pays de la Loire ?

Il faut que tou·tes les acteur·rices puissent travailler en collaboration. Les réseaux d’entreprise sont un vecteur intéressant pour lutter contre les violences faites aux femmes en partageant leurs expériences et les outils de prévention. Quoi qu’il en soit, plus il y aura de retours d’expérience plus on construira collectivement des actions pertinentes en gardant toujours à l’esprit que la prévention sur le terrain est la clé. A tous les niveaux, du plus jeune âge jusqu’à la sensibilisation au sein des entreprises.

 

Propos recueillis par Adrien Cornelissen

 

* Les chiffres mentionnés sont issus des études suivantes : IFOP 2018 / IFOP Fondation Jean Jaurès 2019 / Chiffres clés pour l’égalité réelle édition 2020.

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Quelles sont les missions des CIDFF en Pays de la Loire ?

 

Carte des CIDFF en France

 

Anne Le Meur : « Les CIDFF existent depuis près de 50 ans. Il y a 106 associations en France avec au minimum une association par département. Les CIDFF agissent dans le cadre d’une mission d’intérêt général qui leur est confiée par l’État afin de promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes, favoriser l’autonomie personnelle, professionnelle et familiale des femmes et lutter contre les violences sexistes. Ils interviennent autour de 3 champs principaux : l’accès au droit, l’insertion et l’égalité professionnelle et la lutte contre les violences sexistes. Pour assurer cette mission, les CIDFF s’appuient sur une équipe pluridisciplinaire de professionnel·les (juristes, conseillères à l’emploi, psychologue…).

 

En Pays de la Loire, le réseau regroupe 6 CIDFF et se déclinent sur 87 permanences au total notamment grâce au soutien du Conseil régional. Plus précisément sur le champ de la lutte contre les violences sexistes, l’intervention des CIDFF s’articule de deux manières. D’abord avec un dispositif d’accueil, d’information et d’accompagnement des victimes de violences sexistes. En 2020, les CIDFF ont reçu près de 10 000 personnes dans le cadre de leurs 87 permanences dont 30% sur la question des violences sexistes. Ensuite autour d’actions de sensibilisation et de formation de différent·es acteur·rices (professionnel·les, partenaires, grand public, entreprises, etc.). »

 

 

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« Ecouter, libérer », le podcast de Citad’elles contre les violences – lire l’article
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