Publié le 26.01.22

 

Alexandra Rieu est responsable de la Mission Egalité Professionnelle F/H pour les intérimaires au sein du groupe Synergie, un des leaders spécialisés dans les services RH (intérim, recrutement, formation …) Cette « Fameuse » est convaincue que l’égalité professionnelle est l’une des clés pour l’autonomie des femmes. Elle retrace son parcours de plus de 10 ans pendant lesquels elle a monté des actions de sensibilisation en direction des femmes et des entreprises, comme le salon Mix&Métiers. Aujourd’hui elle expérimente un tout nouveau dispositif, le parcours Switch. Une petite révolution dans le domaine de la féminisation des métiers…

 

Alexandra, quelques mots sur votre parcours. Qu’est-ce-qui vous a amenée à évoluer dans le domaine de l’égalité professionnelle ? 

 

J’ai eu la chance de grandir dans une famille matriarcale où j’ai toujours été sensibilisée à la question de l’autonomie des femmes. C’est ce qui me ramène à ce que je fais aujourd’hui : faire en sorte que les femmes soient davantage indépendantes financièrement. Or, les femmes sont celles qui occupent majoritairement les emplois précaires (70 % des temps partiels et 62% des emplois non qualifiés). Les femmes sont aussi celles qui sont concentrées dans des métiers avec des salaires inférieurs en moyenne de 19% aux métiers dits masculins*. Ce sont aussi elles qui ont la charge des familles monoparentales dans 85 % des cas quand une de ces familles sur trois vit en dessous du seuil de pauvreté. Les femmes sont celles qui ont de plus petites retraites (la pension moyenne de droits directs des femmes est inférieure de 42% à celle des hommes, soit 800 euros de moins par mois*). Tous ces exemples illustrent es conséquences directes des inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes.

 

Quand j’ai intégré Synergie, il y a 12 ans, j’ai monté une mission dédiée à l’embauche des seniors. Alors qu’on parlait de l’allongement du départ à la retraite, il existait une vraie discrimination à l’embauche de cette population. Une vraie incohérence (pour ne pas dire une hypocrisie) qu’il fallait combattre avec détermination. Ça m’a préparée à la suite, quand j’ai rencontré une déléguée au droit des femmes à Marseille. Elle m’a convaincue que j’avais les qualités à la fois de ténacité et de souplesse utiles pour de relever le challenge de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Aujourd’hui, je me suis musclée par mon expérience et mes nombreux échanges avec des expert·es comme Anne Le Meur du CIDFF, Elisabeth Ferro-Vallé de l’AFNOR ou durant le Printemps des Fameuses. Par ailleurs, travailler auprès des seniors, m’a également permis d’élargir ma vision avec une approche intersectionnelle. J’ai compris que les inégalités avaient tendance à s’additionner et que les femmes en étaient le point de convergence. La rencontre avec ma Directrice Générale a permis de convaincre de la pertinence de développer une mission égalité professionnelle.

 

Concrètement, ça s’est traduit comment ?

 

J’ai fait le choix de rentrer dans un groupe important car je savais qu’il y avait un potentiel d’effet levier énorme auprès des femmes. Au début de ma mission, j’ai identifié, d’un côté, des entreprises qui cherchaient à féminiser certains de leurs métiers trop majoritairement masculins et à embaucher sur des secteurs en tension et de l’autre, des femmes en recherche d’emploi ou de réorientation qui n’auraient jamais pensé que ces métiers étaient pour elles. Ça ne matchait pas. Il fallait créer des passerelles.

 

Ma première action a donc été de proposer le Forum Mix&Métiers, un événement pour provoquer la rencontre entre cette demande et cette offre. Une vingtaine d’entreprises a accepté le principe et Synergie a compris l’impact de cette initiative unique. Face au premier succès nantais en 2016 on a multiplié le dispositif dans plusieurs villes de France et impulsé d’autres actions en faveur de l’égalité, comme « Les Talentueuses », un événement prévu fin mars à Lyon, où des femmes embauchées sur des métiers dits masculins, viendront témoigner de leur parcours pour en convaincre d’autres qu’il est possible de devenir soudeuses ou développeuses informatiques, par exemple.

 

Ce Forum Mix&Métiers est une initiative originale. Pouvez-vous nous en dire plus ?

 

Seul·es 19 % des français.es travaillent dans une filière mixte. Le Forum Mix&Métiers invite donc des femmes de tous horizons : des lycéennes, des étudiantes, des professionnelles de tous milieux et de niveaux hiérarchiques différents. Ces centaines de femmes cherchent avant tout une solution professionnelle, mais qui s’auto censurent et ne sont pas forcément sensibilisées aux questions de l’égalité professionnelle. Cet événement facilite la rencontre avec des entreprises dont les besoins de recrutement ont été un révélateur de la force des stéréotypes en matière d’orientation scolaire et où professionnelle. Elles évoluent dans des secteurs très différents : l’industrie, le numérique, l’énergie, le ferroviaire, le naval, la logistique, le transport, le BTP… mais sont toutes confrontées à cette problématique qui attribue un genre aux métiers. Le Forum Mix&Métiers est une vraie réussite avec 160 partenaires (entreprises et structures associatives) et 4 000 participantes. Il y a eu une première édition à Nantes en 2016 puis 7 autres en France, à Lyon, Toulouse, Montpellier ou Marseille. La prochaine aura lieu à Strasbourg à l’automne 2022.

 

Vous pilotez en ce moment un nouveau dispositif très original, le parcours Switch. De quoi s’agit-il ?

 

A la suite de Mix & Métiers, qui avait pour but de faire de la sensibilisation, nous avons réfléchi à un dispositif qui permettrait concrètement des embauches. La bonne nouvelle, c’est que les entreprises sont de plus en plus réceptives à cet impératif de mixité. Elles s’engagent en nombre croissant, mais elles rencontrent des freins pour féminiser leurs effectifs : méconnaissance, auto-censure, choix de formation genrés dès le plus jeune âge. Et quand elles parviennent à recruter, elles constatent parfois un turn over plus important. Plus difficiles à recruter sur certains postes, les femmes y restent moins. Par voie de conséquence, pour agir en faveur de la mixité et favoriser la féminisation des métiers, il faut faire appel à de nouvelles formes de recrutement nécessitant une grande agilité.

 

C’est de ce constat qu’est né le Parcours Switch. Il s’agit d’un service RH payant proposé par Synergie à ses entreprises clientes pour mieux recruter en innovant dans leur accompagnement auprès des candidates : ateliers pour déconstruire les stéréotypes, réunions actives sur les métiers et visites de terrain pour identifier concrètement les métiers proposés. Dans ce dispositif, nous favorisons les rencontres avec des professionnelles et rendons ainsi visibles les femmes exerçant des métiers dits masculins. Au terme de cette découverte et de leur réflexion, les candidates intéressées – pour la plupart en voie de reconversion professionnelle – peuvent bénéficier d’une formation, mise en œuvre par l’ingénierie de formation de Synergie en collaboration avec nos client.es. Elles intègrent ainsi un nouvel emploi que ce soit en CDI/CDD, en CDI intérimaire ou en intérim.

 

Mais surtout, avant de proposer le poste, je passe personnellement plusieurs semaines au cœur de l’entreprise partenaire du Parcours Switch, sur le poste que je vais proposer à ces femmes et je fais un retour d’expérience au commanditaire. Plutôt que de servir un discours théorique, je vais témoigner sur les conditions de travail, sur l’équipe, sur le port de charges lourdes, le bruit, l’ambiance. Une sorte de « vis ma vie » qui permet d’identifier les points d’amélioration concrets. Pourquoi proposerais-je un poste à une femme dans un environnement qui serait mal adapté et que je n’accepterais pas moi-même ? Face aux résultats concluant des premiers essais, le Groupe a d’ores et déjà lancé son Parcours Switch auprès de différentes entreprises sur des secteurs aussi diversifiés que sont l’industrie, l’énergie, l’aéronautique, le numérique, le transport, l’environnement, la logistique. Dans le même temps, il poursuit de manière logique et naturel les forums Mix&Métiers, réalisés depuis 2016 sur l’ensemble du territoire.

 

 

 

« Je passe personnellement plusieurs semaines au cœur de l’entreprise partenaire du Parcours Switch, sur le poste que je vais proposer à ces femmes et je fais un retour d’expérience au commanditaire. Plutôt que de servir un discours théorique, je vais témoigner sur les conditions de travail, sur l’équipe, sur le port de charges lourdes, le bruit, l’ambiance. Une sorte de « vis ma vie » qui permet d’identifier les points d’amélioration concrets. »


Avec ce recul que vous permet vos expériences, quels sont les arguments pour convaincre les entreprises de la féminisation des métiers et de l’égalité professionnelle ?

 

Les entreprises se mobilisent différemment sur le sujet : difficulté de recrutement, mauvais notre a l’index égalité, accord relatif à l’égalité F/H, politique RSE, marque employeur, problème d’attractivité, exclusion de certains appels d’offre… Chaque entreprise va avoir son propre parcours et ses propres motivations. Il faut en accepter le principe. L’égalité est un cheminement, un long processus. Mais je crois que l’argument autour d’un management inclusif des talents est l’une des clés pour les entreprises de demain.

 

Avez-vous l’impression d’un réel progrès dans le domaine de l’égalité professionnelle ?

 

Au sein de mon entreprise, c’est indéniable. J’ai la responsabilité de l’égalité professionnelle pour les salariées intérimaire du groupe. Mais toutes ces actions externes ont un effet moteur positif sur la politique interne qui avance bien en parallèle. En 2020, Synergie a été noté 94/100 à l’index égalité et a surtout obtenu la labellisation « égalité professionnelle » par l’AFNOR, ce qui en fait une des 82 structures en France à disposer de ce label. Ce n’est pas rien. Synergie a donc fait du chemin dans le bon sens depuis une dizaine d’années, même si la route est longue…

 

Dans le même sens, c’est-à-dire le bon, j’observe que la jeune génération, est plus exigeante et globalement mieux informée sur le sujet. Dans mon quotidien, je vois aussi que les entreprises ont évolué et sont plus facilement mobilisables sur la question. L’index égalité FH, affiché publiquement, a aussi fait bouger les choses. Il n’est pas parfait, mais il sert d’aiguillon. Les entreprises s’interrogent, se sentent plus impliquées et ont envie d’avancer collectivement. Pour certaines ça devient plus difficile de devoir assumer les inégalités qu’elles engendrent. On avance donc mais rien n’est acquis. En règle générale, j’aurais donc tendance à dire qu’il faut être vigilant·e. Déjà avec le Covid et la crise sanitaire, l’égalité FH n’était pas le sujet prioritaire. Maintenant, on risque de connaître certains rétropédalages. Je m’interroge aussi sur la permanence des stéréotypes dans certains domaines stratégiques sur lesquels ont construit la société de demain et qui sont désespérément genrés, comme le numérique, par exemple. Quel monde nous prépare l’intelligence artificielle si elle n’est programmée que par des hommes, ce qui est actuellement très majoritairement le cas ?

 

Un dernier mot, quels sont vos souhaits pour l’année 2022 ?

 

L’entreprise doit prendre conscience de la nécessité de dégenrer ses valeurs, ses process et l’ensemble de son modèle managérial. Pas facile mais comme nous le rappelle Vladémir Jankélévitch « Le courage n’est pas un savoir, c’est une décision. ». Foncez !

 

 

* Source Pacte de lutte contre la précarité des femmes – Laboratoire de l’Egalité – Octobre 2021

 

 

Propos recueillis par Adrien Cornelissen

 

 

Pour aller plus loin :

Élisabeth Ferro-Vallé : « L’index Égalité FH a le mérite d’exister mais il a ses limites » – lire l’interview

CHARIER veut féminiser les métiers de travaux publics – lire l’article

 

[La Fameuse Académie]

RTE et ses 5 grandes priorités pour l’égalité FH – lire l’article

SNCF, des pistes concrètes pour impulser la mixité – lire l’article

Covea, 3 facteurs clés pour mener à bien sa transformation – lire l’article

Accenture, le déploiement d’une politique égalitaire en 6 points – lire l’article